Pauvres elles! C'est ce que se disent bien des gens quand il est question de femmes musulmanes. Dans l'imaginaire occidental, la femme musulmane est le plus souvent une victime voilée, apeurée, soumise et muette. Elle attend qu'on vienne à son secours.

Tous ceux qui sont prêts à aller au-delà de ce cliché devraient voir Les monologues voilés, présentés ces jours-ci à la Place des Arts. Voilà des monologues qui appellent au dialogue. Un dialogue essentiel qui fait du bien.

Les monologues voilés ont été créés à Amsterdam par Adelheid Roosen. L'auteure s'est inspirée des célèbres Monologues du vagin, d'Eve Ensler. Elle a interviewé 74 femmes de racines musulmanes de 17 à 85 ans vivant aux Pays-Bas. Des femmes de divers milieux et de plusieurs origines (Maroc, Algérie, Turquie, Somalie, Iran, etc.), tiraillées entre plusieurs cultures. Elles ont parlé de désir, de plaisir, de sensualité. Elles ont aussi parlé de viol, d'hymen et de mariage forcé. De leurs récits, Adelheid Roosen a tiré 12 monologues qui tissent un portrait tout en nuances de la réalité de femmes musulmanes néerlandaises. Des monologues impudiques, sans complaisance, parfois drôles, parfois bouleversants, souvent les deux.

J'ai assisté à la première jeudi en compagnie d'Andréanne Pâquet, une anthropologue qui s'intéresse au regard que le Québec porte sur les femmes musulmanes. Andréanne a monté l'an dernier l'exposition Ce qui nous voile, qui visait à démystifier la réalité des femmes qui portent le voile au Québec. Elle a réalisé qu'il y avait une grande distorsion entre l'image que l'on se fait de ces femmes et leur vécu. On les imagine malheureuses, prudes et asexuées... Quand une des participantes au projet lui a parlé de la soirée sex toys organisée avec des copines, elle a vu à quel point la réalité était plus éclatée qu'elle ne le pensait elle-même. «Les portraits que j'ai pu recueillir m'ont tous bousculée dans mes propres préjugés.»

La pièce d'Adelheid Roosen produit le même effet chez le spectateur capable d'aller au-delà de ce qu'il croit déjà savoir. Ceux qui ne tolèrent pas que l'on remette en question leur vision monolithique de la pauvre victime musulmane seront sans doute choqués. Car il y a dans cette pièce mille nuances qui, sans banaliser l'horreur, viennent embrouiller le regard paternaliste généralement porté sur l'islam en Occident. En plus, on y voit des femmes musulmanes épanouies, image provocante s'il en est une!

Il ne faut pas se fier au titre. Les monologues voilés ne traitent pas de la question du foulard musulman, au coeur de tant de controverses. Pour Andréanne, l'obsession du voile, que l'on vient titiller dans ce titre, est révélatrice de la vision qu'on a de l'islam. «Le problème est dans notre regard. On ne connaît ni ces femmes ni cette religion. Le voile est un symbole qui occulte le reste.» Quand on parle d'elles, on parle surtout de nous. En soulevant ce voile, réel ou imaginaire, nous nous dévoilons nous-mêmes.

Ce qu'il y a de brillant dans Les monologues voilés, c'est cette façon de justement renvoyer le miroir vers le spectateur, de le placer devant ses propres préjugés et ses contradictions. La pièce joue habilement sur les idées reçues des uns et des autres. Le monologue le plus drôle est celui de cette femme d'origine turque qui, après des années de mariage avec un musulman, va à la rencontre de Gérard, un Néerlandais. Elle s'imagine monts et merveilles avec cet homme censé repousser tous les tabous. Elle sera bien déçue.

Comme Andréanne, j'ai été particulièrement troublée par le monologue sur les mutilations génitales. On y voit une mère excisée et sa fille heureuse de ne pas l'être. La mère explique à sa fille à quel point le regard empreint de pitié que ses amies néerlandaises portent sur elle lui fait mal. Elle ne supporte pas d'être, dans leur regard, réduite à une excision, comme si toute sa vie n'était que ça, lui confie-t-elle. «Leur compassion m'humilie.»

Même si on retrouve une humanité commune dans ces regards croisés, il faut quand même préciser que la réalité des immigrées néerlandaises décrite dans Les monologues voilés a bien peu à voir avec la réalité québécoise. «Ici, on a la population musulmane la plus éduquée de la planète ou presque», rappelle Andréanne. Une population que l'on emprisonne dans des clichés. Faute de la connaître, on la craint. On la perçoit à tort comme une communauté impossible à intégrer, prête à nous envahir.

À quand des Monologues voilés québécois écrits par des femmes musulmanes d'ici?