Comme tous ceux qui ont déjà eu le bonheur de voir le film Alphée des étoiles, j'ai craqué pour cette petite fille. Son sourire espiègle, son univers poétique, sa façon de sautiller entre les obstacles... Et surtout, cette leçon de vie qu'elle nous donne en éclatant de rire.

Le très beau film d'Hugo Latulippe - dont RDI nous présente une version écourtée demain à 20 h (*) - nous plonge dans l'univers de sa fille, atteinte d'une maladie génétique très rare pour laquelle il n'existe aucun remède connu (le syndrome de Smith-Lemli-Opitz, qui ralentit le développement neurologique et musculaire).

À l'approche de ses 5 ans, les parents d'Alphée ont du mal à l'imaginer dans une cour d'école. Ils ont l'impression que leur fille est prisonnière d'un corps qui ne répond pas encore bien aux commandes. À Montréal, on leur suggère de placer Alphée dans une école spécialisée. Ils ont la forte intuition que ce n'est pas la chose à faire. Ils décident de reporter son entrée scolaire et de s'exiler un an dans les montagnes suisses, dans le village natal de la maman d'Alphée, la militante Laure Waridel.

Là, dans un décor à couper le souffle, Alphée, son grand frère Colin et leurs parents se retrouvent «emmitouflés en dehors du temps», comme le raconte joliment Hugo Latulippe, dans ce film écrit comme une lettre d'amour à sa fille. La famille fait le pari de ralentir pour mieux revenir. Alphée fréquente la prématernelle du village. Devant cette enfant qui ne cadre dans aucune petite case, la maîtresse est d'abord sceptique. Puis, comme nous tous, elle succombe à son charme. Elle dira plus tard à ses parents: «Je ne sais pas comment dire ça avec précision, mais si j'avais su à l'avance ce qu'Alphée apporterait à cette classe, j'aurais au contraire souhaité qu'elle soit là. Il me semble qu'Alphée a quelque chose qui manque à notre monde.»

Même si le film évoque ce temps où la vie d'Alphée ne tenait qu'à un fil et où sa maman devait déposer son lait au fond de sa bouche à la seringue afin qu'elle puisse vivre, il évite le piège de l'apitoiement. Il ne s'agit pas de nous raconter les problèmes d'Alphée ou ses défis d'intégration. Il ne s'agit surtout pas de susciter la pitié. «Les problèmes de la différence et des défis du quotidien, on les connaît déjà. Ce n'est pas nécessaire de les montrer dans un film. Ce qu'on connaît moins, ce qu'on met moins en valeur, c'est toute la beauté, je dirais même la magie qu'il y a pour nous avec Alphée», me dit Laure Waridel, qui a profité de ce séjour en Suisse pour retourner à l'université - elle prépare un doctorat sur l'émergence d'une économie écologique et sociale.

Beauté et magie

Beauté, magie... Voilà des mots que l'on n'associe pas d'emblée à l'enfant handicapé. Trop souvent, il est vu comme un poids. Quant à ses parents, ils sont vus comme des gens que l'on doit prendre en pitié, ce qui ne fait qu'ajouter un poids de plus sur leurs épaules. Et pourtant... «Chaque enfant est différent, souligne Laure Waridel. Mais pour avoir parlé à d'autres parents qui ont des enfants avec des défis différents, que ce soit la trisomie ou autre chose, il y a toujours de ces moments magiques... En ne les nommant pas, en n'en parlant pas assez collectivement sur la place publique, on a tendance à présenter l'arrivée d'un enfant handicapé dans une vie comme étant un drame.»

Laure Waridel a elle-même vécu cette situation comme un drame, au départ. Elle avait l'impression que c'était l'une des pires choses qui puissent arriver à sa famille. Bien sûr qu'avoir un enfant comme Alphée est un choc, dit-elle. «Mais ce n'est pas la fin du monde. C'est vraiment le début d'un nouveau monde. C'est comme ça que j'ai appris à l'apprivoiser.» Dans ce nouveau monde, il y a aussi des choses fantastiques, qu'on n'aurait jamais découvertes autrement.

C'est ce qu'on se dit aussi en plongeant dans l'univers lumineux d'Alphée des étoiles. La beauté de ce film qui fait l'éloge de la différence, c'est de nous rappeler que, quoi qu'on en dise, toutes les Alphées de ce monde ne sont pas un poids pour la société. Toutes les Alphées de ce monde sont une richesse.

(*) Pour ceux qui peuvent aller au cinéma, je précise que la version intégrale de 82 minutes d'Alphée des étoiles est encore à l'affiche au cinéma Beaubien. Un film deux fois plus long, mais sans aucune longueur, qui mérite le détour.