Suis-je une allophone? Une francophone? Un téléphone? Il y a des jours où, franchement, je m'y perds. Lire la dernière étude de Statistique Canada et le déluge d'analyses contradictoires qui a suivi ne fait qu'aggraver ma confusion linguistique et celle d'un nombre croissant de Québécois d'origine étrangère qui vivent en français.

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En prenant connaissance du portrait présenté mercredi par Statistique Canada, j'ai repensé à ma propre hésitation au moment de remplir le formulaire de recensement. Comme bien des Montréalais, je suis toujours embêtée quand vient le temps de confier ma vie linguistique aux petites cases des statisticiens. Je m'y sens toujours à l'étroit. C'est un peu comme tenter de fermer une valise à la fin d'un long voyage. La valise qui se fermait parfaitement avant le départ finit par déborder. Il y a toujours un vêtement qui se coince dans la fermeture éclair.

Quand Statistique Canada nous dit qu'il y a presque autant d'allophones que de francophones au pays ou que la population allophone est en croissance à Montréal, qu'est-ce que cela signifie au juste pour l'avenir du français? À mon avis, pas grand-chose. Vous en connaissez, vous, des gens qui parlent «l'allophone» ?

La bonne nouvelle, c'est que les allophones - mot utilisé par les statisticiens pour parler de ces gens dont la langue maternelle n'est ni le français ni l'anglais - peuvent fort bien être des francophones, si on le veut bien et qu'on planifie bien les choses. C'était le but de la Charte de la langue française: faire du français la langue d'usage public de tous les Québécois. Cela a donné de très bons résultats. En 1975, une écrasante majorité d'allophones fréquentaient l'école anglaise. Aujourd'hui, une écrasante majorité d'allophones, enfants de la loi 101, fréquentent l'école française.

Est-ce à dire qu'il n'y a plus rien à faire pour assurer l'avenir du français? Non. Comme langue minoritaire dans un océan anglophone, le français au Québec devra toujours être promu et protégé. L'équilibre linguistique montréalais est toujours fragile, à suivre de près.

La bonne nouvelle, disais-je, c'est que les allophones peuvent fort bien être des francophones, si on le veut bien. J'ai moi-même réalisé en remplissant le formulaire de recensement que j'étais une sorte d'allophone dans le placard. J'ai toujours pensé que j'étais francophone. Mais voilà, tout au fond de ma valise linguistique, il y a de l'arabe. Est-ce ma langue maternelle? D'une certaine façon, oui, car c'est bien la langue première de ma mère, celle dans laquelle elle me chantait des berceuses. Une seule berceuse, en fait, toujours la même, Yalla Tnam Rima de la célèbre chanteuse libanaise Fairouz. (Ça veut dire «Que s'endorme Rima». Je soupçonne ma mère d'avoir choisi ce prénom juste pour pouvoir chanter cette magnifique chanson.)

J'ai donc été bercée en arabe. C'est peut-être la première langue que j'ai apprise à la maison. Je dis «peut-être» parce qu'il y a aussi la langue paternelle, non? Il se trouve que ma langue paternelle, c'est le français. À la maison, on parlait les deux langues, comme cela se fait dans beaucoup de foyers immigrants. La phrase commencée en arabe se terminait souvent en français. Quand on se faisait engueuler, c'était toujours en arabe. Si bien que lorsque Statistique Canada me demande de nommer la langue apprise en premier lieu dans mon enfance et que je comprends encore, je ne sais pas quel bout de phrase choisir. Ce que je sais, c'est que peu importe la langue parlée à la maison, ce qui a vraiment compté, c'est la langue apprise à l'école.

Aujourd'hui, je ne maîtrise pas assez bien l'arabe (ni l'art du chant d'ailleurs) pour chanter une berceuse de Fairouz à mes enfants. Je le maîtrise juste assez mal pour que ma grand-mère m'en fasse la remarque quand je l'appelle. Et même si je suis une allophone dans le placard, ma vie se passe essentiellement en français.

Toutes ces considérations, à l'image de la réalité linguistique plurielle d'un nombre croissant de Montréalais, n'entrent dans aucune case.