«Il vous tape-tu sur les nerfs des fois, Amir?», a demandé, sourire en coin, Guy A. Lepage à Françoise David sur le plateau de Tout le monde en parle, dimanche.

«Oui!», a répondu en toute franchise la nouvelle députée de Québec solidaire (QS) dont la prestation de serment a lieu aujourd'hui.

Amir Khadir et elle sont tels un frère et une soeur. Ils s'aiment, évidemment. Mais bien sûr qu'ils se disputent de temps en temps. Sur le fond des choses, ils s'entendent. Sur la forme, pas toujours.

J'ai eu l'occasion de suivre Françoise David pendant ses trois derniers jours de campagne électorale. En l'écoutant parler du drôle de couple politique qu'elle forme avec Amir Khadir, j'ai repensé à ce briefing auquel j'ai assisté un dimanche matin, juste avant une conférence de presse de Québec solidaire.

C'était la veille des élections. À 10h45, au quartier général de QS dans Gouin, des candidats étaient réunis pour présenter aux médias leur bilan de campagne. Françoise David est arrivée, souriante, l'air fébrile, vêtue d'une robe bleue et d'une veste écrue, un sac à dos Mountain Equipment Co-op à la main. Amir Khadir, en complet gris, l'air taquin et décontracté. Il y a eu des blagues sur la cravate d'Amir, qu'il porte même à vélo. «C'est mon côté british.» Tout le monde a éclaté de rire.

Les candidats tentaient d'anticiper les questions des médias qui les attendaient dans la pièce d'à côté. Que dire si un journaliste leur parle de Mario Beaulieu? Le président de la Société Saint-Jean-Baptiste venait de publier un communiqué où il accusait Québec solidaire, très critique des politiques identitaires du Parti québécois, de manquer de solidarité. «C'est qui donc, Mario Beaulieu?», a demandé Françoise David, en plissant les yeux.

Amir Khadir a suggéré une réponse: «On va dire que contrairement aux nationaleux, nous, on considère qu'on ne peut pas faire porter aux seuls immigrants le fardeau de l'avenir de la langue française.»

Françoise David a eu un moment d'hésitation. «O.K... Mais est-ce qu'on peut laisser faire le mot «nationaleux»?»

Que faire si on pose des questions sur les prédictions électorales? Un membre de l'équipe a souligné qu'en entrevue au Journal de Québec ce jour-là, Amir Khadir avait déclaré que Québec solidaire était certain de l'emporter dans Gouin, Mercier et Sainte-Marie-Saint-Jacques.

«Tu n'as pas dit ça?», a lancé Françoise David en levant les yeux au ciel, l'air exaspéré. Elle a foudroyé son co-porte-parole du regard. «On peut avoir l'air prétentieux. Les gens n'aiment pas ça. Est-ce qu'on peut rappeler qu'on a 25% d'indécis?»

Amir Khadir a voulu la rassurer, d'un ton calme. «Je n'ai pas dit que c'était gagné. J'ai dit qu'on a consolidé nos appuis.

- « Ah! O.K. Consolidé, c'est correct», a dit la co-porte-parole, soulagée.

La citation dans le Journal de Québec: «On a déjà trois circonscriptions dans le sac.»

En conférence de presse ce jour-là, Amir Khadir, loin d'écouter les appels à la prudence de sa co-porte-parole, en a rajouté. D'abord à la blague, lorsqu'un journaliste lui a demandé combien de sièges au minimum Québec solidaire espérait récolter. «J'aimerais mieux fixer un maximum. Nous allons nous contenter de 63!»

Puis, plus sérieusement, il en était à prédire l'élection d'au moins quatre députés, se fiant à un «avantage terrain» que les «sondages ne peuvent pas détecter».

Le lendemain, on le sait maintenant, le sac était un peu moins plein que prévu et l'avantage terrain «indétectable» n'a finalement pas été détecté. Seuls deux députés de QS ont été élus, dans Mercier et dans Gouin. Manon Massé, candidate dans Sainte-Marie-Saint-Jacques, est arrivée deuxième. Près de 3000 voix la séparaient du péquiste Daniel Breton. Quant à Andrés Fontecilla, candidat dans Laurier-Dorion dont Amir Khadir prédisait aussi la victoire, il a fini la course troisième.

Françoise David avait eu raison de tenter de modérer l'exaltation de son ami co-porte-parole. Qu'importe. Amir Khadir avait offert un très bon spectacle aux médias qui en redemandaient. Au lendemain de la conférence de presse, c'était lui qui était le plus souvent cité dans les journaux.

Comment Françoise David fera-t-elle pour s'assurer d'avoir la place qui lui revient à l'Assemblée nationale? «Je sais qu'un défi m'attend, a-t-elle confié. Les journalistes de la tribune de la presse se sont habitués très, très, très vite à Amir. Ils ont adoré ses envolées pendant trois ans et demi. Moi, je fais moins d'envolées...»

Maintenant que les co-porte-parole de Québec solidaire sont tous les deux à l'Assemblée nationale, il sera intéressant de voir à l'oeuvre la dynamique de leur duo éclectique.