Comment ne pas céder à la peur devant ces images en boucle montrant des hordes furieuses de manifestants musulmans emportés par la spirale de la haine?

Onze ans après les attentats du World Trade Center, la flambée de violence dans le monde musulman, nourrie par des extrémistes, ne fait pas que tuer des innocents. Elle donne des ailes à des idées dangereuses. Elle accentue des fractures. Elle renforce des mythes.

Comment s'en sortir? Comment éviter les amalgames sans pour autant verser dans la complaisance vis-à-vis de l'extrémisme islamique? En prenant du recul, calmement, faits et preuves à l'appui.

C'est ce que propose le journaliste Doug Saunders dans son remarquable essai The Myth of the Muslim Tide (Alfred A. Knopf, 2012). L'auteur, chef des nouvelles du bureau européen du Globe and Mail, démonte de façon brillante une série de mythes sur les musulmans en Occident, perçus à tort comme une communauté impossible à intégrer, prête à nous envahir.

Il ne s'agit pas pour Saunders de minimiser la violence des extrémistes, de défendre l'islam ou même de fustiger ceux qui en ont peur - dès les premières pages, l'auteur parle de ses propres peurs devant ses voisins musulmans à Londres au lendemain d'attentats terroristes. Il s'agit plutôt, après l'effroi de la tuerie d'Oslo, d'aller au-delà de cette peur et de décortiquer les faussetés largement répandues dont elle se nourrit.

Saunders démontre qu'il est faux de croire que les immigrants musulmans sont plus religieux que le citoyen moyen. Il est faux de croire qu'ils sont en colère contre la société qui les entoure. Il est faux de croire qu'ils approuvent la violence terroriste.

Tout aussi fausse est l'idée selon laquelle, si la tendance se maintient, tous les enfants britanniques risquent bientôt de s'appeler Mohamed. Tout aussi improbables les projections démographiques voulant que les musulmans s'apprêtent à conquérir le monde par la force du nombre. Partout dans le monde, rappelle Saunders, la taille moyenne d'une famille musulmane est à la baisse. En Iran, par exemple, le taux de fécondité est passé de 7 enfants par famille au milieu des années 80 à 1,7 aujourd'hui. C'est moins qu'en France ou en Angleterre. Quant au taux de fécondité des immigrants musulmans, il tend très vite à rejoindre celui de la société d'accueil. Pour la marée humaine, il faudra repasser.

Les théoriciens des invasions barbares n'ont rien inventé. Ce qui est fascinant, c'est de voir à quel point les mythes qu'ils propagent sentent la boule à mites. Aujourd'hui, ils craignent les musulmans. Hier, c'étaient les catholiques ou les juifs.

Dès la fin du XIXe siècle, chaque fois qu'une vague de nouveaux arrivants européens débarquaient en Amérique (Irlandais, Italiens, juifs d'Europe de l'Est), on reprenait les mêmes discours sur la menace de l'étranger, dépeint comme étant trop éloigné de notre civilisation pour s'y fondre. Chaque immigrant trouvait que celui qui le suivait n'était pas assez bien pour s'intégrer...

Loin d'être des discours marginaux de pamphlétaires illuminés, ces idées étaient largement répandues. Au tournant des années 50, par exemple, les Américains s'arrachaient un livre de Paul Blanshard, American Freedom and Catholic Power, qui redoutait une invasion catholique. Le livre est demeuré 11 mois sur la liste des best-sellers du New York Times. Des gens brillants comme Albert Einstein en ont fait l'éloge. L'auteur, un avocat tout ce qu'il y a de plus respectable, y sonnait l'alarme devant la vague d'immigrants catholiques qui, croyait-il, menaçait gravement la démocratie et les valeurs américaines. Il craignait que ces dangereux catholiques, jugés incapables de s'intégrer, prennent les commandes de l'Amérique. Il percevait les bonnes soeurs portant un voile noir comme des extrémistes religieuses, symboles d'un asservissement de la femme. Il prétendait que la criminalité, la violence et le terrorisme étaient intrinsèques au catholicisme. Il donnait même l'exemple du Québec et de sa malheureuse majorité catholique en guise de mise en garde. «Plusieurs Canadiens croient qu'il est trop tard maintenant pour sauver la province de Québec des forces médiévales» et qu'elle doit «devenir une nation séparée».

Avec l'élection en 1961 d'un président catholique - John F. Kennedy -, l'hystérie anticatholique s'est finalement apaisée. L'assaut des soldats de Dieu n'avait pas eu lieu. On réalisait que les catholiques américains n'étaient peut-être finalement que des Américains. Mieux valait alors réserver ses craintes pour la prochaine vague d'étrangers menaçants.

Pour joindre notre chroniqueuse: relkouri@lapresse.ca