Aussi importante soit-elle sur le plan symbolique, l'accession de Pauline Marois au poste de première ministre du Québec n'efface pas d'un coup de baguette rose les inégalités qui persistent dans les cercles du pouvoir.

Plus de 70 ans après que les femmes aient obtenu le droit de vote, en dépit des progrès réalisés, on ne compte que 33% de femmes à l'Assemblée nationale. À ce rythme, si la tendance se maintient, on n'obtiendra la parité qu'en... 2038. C'est beaucoup trop long.

Au palmarès mondial de l'égalité hommes-femmes dans les parlements, le Québec est au 21e rang, tout juste à côté du Népal. Cela le place loin devant le Canada (45e), mais encore loin derrière des pays comme la Suède. On peut certainement faire mieux.

Je suis de celles qui croient qu'il faut oser donner un coup de pied à l'Histoire si l'on aspire avant 2038 à des instances démocratiques réellement égalitaires, dont la composition hommes-femmes serait à l'image de la société qu'elles doivent représenter.

Par coup de pied, j'entends beaucoup plus qu'une déclaration de principes, mais des mesures musclées pour que l'égalité de droit devienne une égalité de fait avant que je n'atteigne l'âge d'être grand-mère.

Pauline Marois pourrait-elle commencer son mandat en proposant une loi sur la parité dans les instances démocratiques? Pascale Navarro, auteure de l'excellent essai Les femmes en politique changent-elles le monde? (Boréal, 2010) a lancé cette idée dans une lettre publiée samedi dernier dans Le Devoir. Sa suggestion, qui tombe sous le sens, fait écho aux recommandations étoffées du groupe Femmes, Politique et Démocratie, un organisme d'éducation à la citoyenneté qui a étudié la question sous toutes ses coutures.

On dira bien sûr qu'il est inutile d'exiger par une loi quelque chose que l'on peut obtenir naturellement. Jean Charest ne s'était-il pas lui-même astreint à nommer un Conseil des ministres paritaire? C'est vrai et c'est tout à son honneur. Mais cela ne tenait qu'à sa volonté et ne réglait pas le problème en amont - le manque de candidatures féminines à la ligne de départ. Il faut commencer par exiger que les listes électorales comptent autant de femmes candidates que d'hommes.

C'est ce que recommande le groupe Femmes, Politique et Démocratie: obliger les partis à présenter une liste électorale paritaire et recourir temporairement aux quotas pour rattraper le temps et les talents perdus. Si cela se fait dans les conseils d'administration des sociétés d'État, pourquoi pas dans le monde politique?

Quant à la parité au Conseil des ministres, il s'agirait en fait d'une «zone de parité». On pourrait inscrire dans la Loi électorale le principe de «zone de mixité égalitaire 40-60». Cela signifie que toutes les instances démocratiques devraient être composées de représentants des deux sexes, minimalement à 40% et ne dépassant pas 60%.

Bien des gens, à commencer par un grand nombre de femmes politiques, craignent les effets potentiellement pervers de telles mesures. Plusieurs y voient une forme de discrédit. On a peur que cela donne l'impression que les femmes n'ont pas été choisies pour leurs compétences, mais juste pour le quota. On peut comprendre ces réserves - en politique, comme dans la vie, les perceptions, même erronées, sont bien difficiles à changer. Mais c'est à mon avis mal interpréter les mesures proposées que de croire qu'elles consistent à faire passer le genre avant les compétences. Il y a là très certainement un travail d'éducation à faire.

La parité ne consiste pas à offrir des postes à des incompétentes en jupe - qui ne sont pas plus nombreuses que les incompétents en pantalon, aux dernières nouvelles. Il s'agit, à compétences égales, de redresser les inégalités du passé. Le seul fait que ce débat finisse toujours par soulever des doutes sur les compétences des femmes montre que les discours sexistes en politique ont la tête dure. «Quand est-ce qu'on s'interroge sur les compétences des hommes?» réplique à ce sujet Esther Lapointe, directrice générale du groupe Femmes, Politique et Démocratie.

Il me semble qu'un gouvernement ou un parti politique qui prêche l'égalité sans être exemplaire à cet égard se discrédite bien davantage que celui qui veille à ce que ce soit plus qu'un mot creux. «Est-ce que les gens pensent que moi, je dois me sentir discréditée comme femme co-porte-parole de Québec solidaire?» demande Françoise David, qui rappelle que son parti exige un quota féminin de 50% dans toutes ses instances.

Au dernier scrutin, Québec solidaire a d'ailleurs été le seul parti à proposer une liste électorale où l'on comptait autant d'hommes que de femmes. Le parti cancre en la matière a été la CAQ, avec moins de 22% de femmes candidates, comparativement à 27% pour le PQ et 38% pour le PLQ. Au total, tous partis confondus, il y a eu moins de candidates féminines en 2012 qu'en 2008. Malgré tout, comme le souligne Esther Lapointe, on a compté plus de femmes élues. Un bon signe. Cela signifie peut-être que les partis offrent de plus en plus de circonscriptions «prenables» à des femmes plutôt que de les confiner à un rôle de candidates «poteau».

Que faut-il en déduire? De plus en plus, des partis politiques réalisent que cela peut être «gagnant» de présenter des femmes, croit Françoise David, qui appuierait une éventuelle loi sur la parité.

Pourquoi alors ne recrutent-ils pas davantage de femmes? Par manque de volonté. «C'est beaucoup plus de travail d'aller chercher des femmes candidates que des hommes», observe-t-elle. Parce que les femmes ont moins d'appétit pour le jeu politique, qui leur paraît trop agressif. Parce qu'elles ont souvent besoin de se sentir parfaites. Parce qu'elles doutent trop souvent d'elles-mêmes. On aurait toutefois tort de confondre manque de confiance et manque de talent.

Elle-même réfractaire à la parité «obligée» aux débuts de Québec solidaire - dans le monde communautaire où elle a longtemps travaillé, ce ne sont pas les candidatures féminines qui manquaient -, Françoise David a finalement réalisé que la mesure est incontournable en politique. Même si Pauline Marois ne l'a pas consultée à ce sujet, la nouvelle députée féministe de Gouin ne s'inquiète pas trop: «Si une femme première ministre que j'ai déjà entendue se dire féministe n'arrive pas à obtenir la parité, ce serait bien décevant.»