Huit hommes portaient le cercueil de Denis Blanchette. Les traits tirés, le regard sombre, l'air solennel. Ils marchaient d'un pas lourd, presque au ralenti, comme s'ils portaient à bout de bras la peine immense d'une mère qui ne reverra jamais son fils, celle d'une fillette qui ne reverra jamais son père et le chagrin de huit millions de Québécois bouleversés par une nuit d'élections devenue tragédie.

Denis Blanchette est mort de la pire façon qui soit, victime innocente d'un tireur fou. Une mort absurde, inacceptable, que rien ne peut justifier. Le soir du 4 septembre, ce technicien de scène avait gentiment accepté de remplacer une collègue. Il ne savait pas que son destin allait croiser celui d'un homme armé qui fonçait furieusement vers le rassemblement péquiste du Métropolis. Il ne savait pas que la nuit d'élections deviendrait nuit d'attentat politique. Il ne savait surtout pas que plus jamais il ne pourrait se coller tendrement à sa petite Amy de 4 ans comme il le fait sur cette photo qui me bouleverse depuis une semaine.

Le 5 septembre, une petite fille s'est réveillée sans père. Une mère s'est réveillée sans fils. Un peuple s'est réveillé dans l'effroi. Et la première femme premier ministre du Québec voyait sa victoire historique assombrie par une tragédie.

Autour de l'église Saint-Donat, où avait lieu la cérémonie de commémoration nationale en l'honneur de Denis Blanchette, une foule émue. Beaucoup avaient du mal à trouver les mots pour exprimer leur peine. Car que peut-on bien dire à une mère inconsolable qui a perdu son fils dans de telles circonstances? Que peut-on bien dire à ceux qui le pleurent et dont la vie est bouleversée à tout jamais? Comment expliquer l'inexplicable?

Il y a de ces moments où presque tous les mots sonnent creux. De ces moments où le seul réconfort d'une épaule vaut mieux que mille discours. De ces moments où le silence respectueux est le meilleur hommage qui soit.

Dans une église sous haute surveillance policière, il y a eu des fleurs et des larmes. Des chants et des prières. Des appels à l'espoir et au pardon. Des accolades et des témoignages émouvants.

«Aujourd'hui, tous ceux qui t'aimaient sont là», a dit un grand ami de Denis Blanchette. Son hommage à celui qu'il appelait affectueusement «le gros» était aussi simple que touchant. «Chaque jour, on voyait le soleil se lever ensemble...» a-t-il commencé par dire, la gorge nouée. Un long silence a suivi. Sous chacun de ses mots prononcés avec peine, on sentait la tristesse infinie à l'idée d'imaginer tous ces levers de soleil sans cet ami, sans ce «gros» pas si gros, qui avait surtout un grand coeur, racontait-il.

«Tu pensais aux autres avant de penser à toi. Je te dirai jamais adieu, gros. Je vais te dire au revoir, mon frère. Je t'aime.»

La veille, au Téléjournal, les deux grands amis de Denis Blanchette, Michel et Denis Bourgault, racontaient avec nostalgie une soirée sur leur balcon de Hochelaga-Maisonneuve avec leur «gros». De ces soirées où on refait le monde et où on finit par chuchoter que l'on est heureux malgré tout. Une soirée où Denis Blanchette et ses amis se sentaient au sommet du bonheur. Capables d'être heureux avec ce qu'ils avaient, leurs enfants, la santé...

Quand on est au sommet, la chute ne peut être que plus brutale. Quelle aurait été la volonté de Denis Blanchette en pareilles circonstances? Il n'aurait souhaité ni rancune ni rage, croit son ami Michel. Ce qu'il aurait voulu, c'est que la vie continue et que l'on essaie de faire en sorte «que sa fille vive dans un monde meilleur».

Les cloches de l'église ont retenti. Le ciel s'est voilé. Les huit hommes qui portaient le cercueil l'ont placé dans le corbillard. Une mère pleurait son fils. Une petite fille ne trouvait pas son père. Des proches et des collègues endeuillés marchaient en silence.