Il faut une bonne dose de démagogie pour présenter comme un grand exemple d'équité une réforme qui mettra en danger la santé des gens parmi les plus vulnérables de notre société. Le gouvernement conservateur n'en manque pas.

À partir du 30 juin, 125 000 réfugiés et demandeurs d'asile au Canada feront les frais de coupes fédérales dans la couverture de leurs soins de santé. Des coupes qui indignent et inquiètent avec raison un grand nombre de professionnels de la santé.

Selon la vision conservatrice de l'équité, un demandeur d'asile qui a survécu à la torture et qui souffre de psychose n'aurait désormais le droit à des traitements que s'il constitue une menace à la sécurité publique (s'il y a un risque d'homicide, par exemple). Si ce même demandeur d'asile a «juste» des pensées suicidaires et qu'il est trop pauvre pour s'offrir des soins, il n'aurait le droit à rien. Qu'il se débrouille avec sa détresse. Ça lui apprendra à se faire torturer. Tout ce qui ne tue pas rend plus fort...

Autre exemple: en vertu de la réforme «équitable» du ministre de l'Immigration Jason Kenney, un enfant d'une famille de réfugiés qui souffre de diabète n'aurait plus le droit à l'insuline si ses parents n'ont pas assez d'argent pour pouvoir la payer. «Le diabète ne présente pas un risque pour la santé publique et n'est pas un état préoccupant pour la sécurité publique», explique Citoyenneté et Immigration Canada. En d'autres mots, si cet enfant vulnérable est malade, cela ne nous regarde pas, puisque le diabète n'est pas contagieux.

Résultat: l'enfant risque de se retrouver aux urgences en coma diabétique. Ses parents recevront une facture qu'ils ne pourront sans doute pas payer. Les hôpitaux québécois devront payer pour les pots cassés légués par «l'équité» du gouvernement fédéral. Si l'enfant finit par obtenir sa carte d'assurance maladie, ses soins risquent de coûter plus cher à l'État. Que fera Québec? Le ministre de la Santé Yves Bolduc, déjà aux prises avec des urgences bondées, se dit très préoccupé par la situation, mais n'a pas encore de plan.

Le ministre Jason Kenney justifie cette réforme injuste et inhumaine en disant qu'il ne veut pas demander aux Canadiens de payer pour que les demandeurs d'asile «aient accès à un régime de soins de santé plus généreux que celui auquel ils ont eux-mêmes droit». En présentant les demandeurs d'asile au mieux comme des privilégiés, au pire comme des «abuseurs» ou des parasites, le ministre nourrit et exploite de façon vicieuse des préjugés tenaces.

Des privilégiés, les réfugiés? Dans les faits, jusqu'au 30 juin, le Programme fédéral de santé intérimaire, qui prévoit une couverture temporaire des soins de santé pour des gens vulnérables n'ayant aucun autre filet social, offre, en théorie seulement, à peu près les mêmes avantages que la RAMQ, m'explique la Dre Marie Munoz, de Médecins du monde, qui travaille auprès de patients réfugiés. En pratique, les problèmes d'accès au programme font en sorte que les patients reçoivent moins de services que les autres citoyens. Quant aux soins complémentaires (médicaments, soins dentaires, lunettes, etc.), ils sont semblables à ceux offerts aux citoyens les plus démunis bénéficiant de l'aide sociale. Mais là encore, le processus de remboursement très compliqué freine l'accès.

Il est peu probable que des hordes de réfugiés myopes ayant survécu à l'horreur se disent un beau matin: «Allons au Canada pour y obtenir des lunettes gratuites.» Ils ont souvent d'autres soucis. Il n'y a rien de proprement scandaleux à vouloir limiter les dépenses en lunettes de l'État. On ne peut qu'être en faveur d'un assainissement des finances publiques. L'ennui, c'est que sous prétexte d'éliminer le superflu et de limiter les abus qu'il attribue à des «faux réfugiés», le ministre Kenney va beaucoup trop loin en pénalisant l'ensemble des demandeurs d'asile qui ont le malheur d'être malades et démunis.

Le ministre croit ainsi pouvoir économiser 20 millions par année. De nombreux professionnels de la santé qui, à l'appel de Médecins du monde, manifesteront le 18 juin contre cette réforme l'avertissent déjà que sa logique, en plus d'être inhumaine, ne tient pas la route. Car ce qui sera épargné aujourd'hui coûtera infiniment plus cher demain si le patient non traité aboutit aux urgences.

Ironiquement, l'an dernier, lorsque l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), déplorant des retards de paiements, avait recommandé à ses membres de ne plus servir les réfugiés ayant besoin de médicaments couverts par le Programme fédéral de santé intérimaire, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) s'était vigoureusement porté à la défense de son programme. On disait alors s'inquiéter «de l'impact que la décision de l'AQPP [aurait] sur les demandeurs d'asile, les réfugiés et les autres populations identifiées». «Nous ne comprenons pas pourquoi l'AQPP refuse maintenant de participer à ce programme des plus vitaux alors qu'on a récemment apporté des améliorations», m'avait écrit par courriel une porte-parole de CIC.

Un an et demi plus tard, il faut croire que le programme n'est plus jugé vital. CIC, loin de s'inquiéter pour les patients vulnérables laissés en plan, ne comprend pas lui-même pourquoi il participait à son propre programme. Fini les pompes pour les enfants réfugiés asthmatiques. Fini les antipsychotiques pour ceux qui ne menacent personne sauf eux-mêmes. Fini les traitements pour les malheureux en exil qui ne sont pas contagieux. Bienvenue au Canada. Si vous êtes réfugié, veuillez S.V.P. ne pas être malade.