Avec cette grève étudiante transformée en crise sociale, la petite lumière rouge sur mon téléphone ne cesse de clignoter. Même le week-end, même la nuit. Je dis «rouge», mais en fait, le rouge cache souvent du vert. Pour ou contre la loi 78, on s'entend sur une seule chose: tous sont furieux.

J'ai qualifié cette loi de dérive autoritaire qui bafoue des droits fondamentaux et ne fait qu'attiser le feu. Certains me disent que c'est mon jugement qui part à la dérive. Ça, c'est la version polie. Car dans les deux camps, le débat est de plus en plus hargneux.

On s'embarrasse de moins en moins de civilités. On confond les insultes et les arguments. On s'attaque aux gens plutôt qu'à leurs idées.

La grève étudiante exalte. Elle éveille des consciences. Elle ramène le débat politique au coeur de la cité. Elle permet de l'élever et de l'approfondir. Elle donne un cours de science politique en accéléré à des milliers de citoyens. Elle secoue l'indifférence. Mais dans ses recoins sombres, elle fait aussi remonter à la surface son lot de bêtises, d'enflures et d'injures.

On s'intéresse à la chose politique comme jamais. Il faut s'en réjouir. Mais se greffent au débat une tentation des bas-fonds et d'inadmissibles appels au lynchage qui inquiètent toujours. Traiter Jean Charest de «gros chien sale fasciste» n'est pas plus brillant que de qualifier les étudiants de «vandales extrémistes». Intimer à Gilbert Rozon de «se la fermer» parce qu'il exprime un point de vue impopulaire dans les médias sociaux n'est pas plus édifiant que de traiter de «BS» ceux qui portent le carré rouge. Brandir une pancarte où l'on traite Sophie Durocher de «salope» est aussi inacceptable que de sommer cette «ostie d'importée» (on parle de moi ici) de retourner dans son pays si elle n'aime pas la loi 78. Bon, quoi de neuf, à part de ça?

Ceci n'est pas une chronique sur les débats qui dérapent et finissent par occulter le coeur même du débat. Après avoir lu mon abondant courrier des derniers jours, je voulais plutôt vous parler d'objectivité. De celle que l'on nous prête ou pas. De celle à laquelle les journalistes adhèrent ou pas.

Je remarque que le lecteur qui ne partage pas mon point de vue m'accuse souvent de manquer d'objectivité. Alors que celui qui pense comme moi me dit que je suis d'une objectivité exemplaire. Qui a raison? Personne. Les deux ont tort. Et moi aussi. On trouve en général justes et brillants ceux qui nous donnent raison. Quant à ceux qui nous donnent tort, ils sont bien sûr de mauvaise foi, surtout s'ils sont brillants...

Cela dit, reprocher à un chroniqueur d'être subjectif, c'est comme reprocher à un jardinier de jardiner. La chronique est par définition subjective. On lit un chroniqueur non pas pour qu'il nous livre un compte rendu neutre d'une manifestation de casseroles avec les cinq W (Qui? Quoi? Quand? Pourquoi? Où?). On ne veut pas connaître les dimensions de chaque casserole. On le lit pour savoir ce qu'il en pense, en toute subjectivité. La casserole, brandie par les opposants à la loi 78, est-elle à moitié pleine ou à moitié vide? Subversive ou insignifiante? Gentiment désobéissante ou juste irritante? J'aurais tendance à répondre A là où d'autres répondront B. Objectivement, c'est pourtant la même casserole.

La chronique est par définition subjective, donc. Cela ne veut pas dire que le chroniqueur peut distordre les faits à sa guise. Cela ne veut pas dire qu'il est dispensé d'un devoir d'honnêteté et de rigueur. Cela ne veut pas dire qu'il peut transformer les casseroles en citrouilles. Sa subjectivité assumée s'appuiera, s'il y croit, sur une quête d'objectivité, c'est-à-dire une volonté de décrire la réalité sans que ses goûts, ses intérêts, ses préjugés viennent altérer son jugement. Mais à moins d'être un saint (je n'en ai jamais rencontré encore), cela reste un voeu pieux. Une quête impossible, mais nécessaire.

Aucun commentateur ne peut prétendre être parfaitement objectif. «Mais l'objectivité n'est pas la neutralité, disait Albert Camus. L'effort de compréhension n'a de sens que s'il risque d'éclairer une prise de parti.»