J'ai beau le retourner dans tous les sens, j'ai du mal à voir comment le projet de loi matraque déposé hier pourrait régler la crise étudiante et ramener la paix sociale.

Depuis le début de ce conflit, le gouvernement Charest sous-estime la détermination et l'intelligence du mouvement étudiant. Il fait maintenant le pari qu'un gros couvercle posé sur la marmite étouffera la grogne. Il tente d'imposer la paix de force, en bafouant des droits fondamentaux. Les premières réactions d'indignation laissent présager que ce ne sera pas si simple.

Au lieu de chercher à négocier une solution salutaire pour tous - carrés rouges, carrés verts, carrés blancs ou pas de carré du tout -, le gouvernement choisit une ligne dure qui attisera davantage les tensions. Des pouvoirs accrus aux policiers. Un droit de manifester restreint pour tout groupe de 10 personnes ou plus, avec obligation de fournir au moins 8 heures à l'avance son itinéraire aux policiers (qui pourront le modifier à leur guise). Une interdiction de manifester à moins de 50 m d'un cégep ou d'une université. Un retour en classe de force. La possibilité de juger les associations étudiantes coupables par association en leur faisant porter le fardeau de la preuve. La possibilité de leur couper les vivres. Des amendes sévères de 1000$ à 125 000$ par jour aux dissidents...

Bref, c'est tout un mouvement social que l'on semble vouloir mettre au pas, bâillonner et pénaliser sévèrement. On bafoue la liberté d'expression. On bafoue la liberté d'association. On bafoue le droit à la dissidence. Voilà qui est indigne d'une société démocratique. Et après, ce sera quoi? La Loi sur les mesures de guerre?

Au début du conflit, le gouvernement Charest a choisi d'ignorer le mouvement étudiant contre la hausse des droits de scolarité. Il a ensuite tenté de le diviser. Puis, de le discréditer en l'associant à tort à la violence ou à un mouvement d'enfants gâtés intransigeants. Quand il s'est finalement assis pour «négocier», on a eu le droit à une mascarade, deux fois plutôt qu'une. Et bien que des propositions intéressantes aient été présentées, le gouvernement n'a jamais reculé d'un iota sur l'enjeu principal - la hausse des droits.

Aujourd'hui, après avoir laissé pourrir le conflit pendant presque 100 jours, après avoir refusé d'aborder la question de fond, le gouvernement tente de marginaliser le mouvement, en répétant que 70% des étudiants ne sont pas touchés par le «boycottage». Ce qu'il ne dit pas, c'est que, grève ou pas, la majorité des étudiants (plus de 300 000) a rejeté l'offre du 6 mai. On ne parle pas de deux ou trois imbéciles masqués qui cassent des vitres. On parle du plus important mouvement de mobilisation étudiante de l'histoire du Québec. On parle d'un mouvement qui agit de façon légitime - les représentants des fédérations étudiantes ont été choisis démocratiquement en vertu de la Loi sur l'accréditation et le financement des associations d'élèves ou d'étudiants. On parle aussi d'un mouvement pacifique qui défend une cause juste et noble: l'accès équitable à l'éducation (qui est beaucoup plus qu'un simple accès à une salle de cours).

Le sociologue Guy Rocher, un des grands penseurs du système d'éducation québécois, a dit hier à quel point il était inquiet. En 60 ans d'enseignement universitaire, il n'a jamais rien vu de tel. Il n'a jamais vu des policiers avec des matraques dans les couloirs de son université. «Jamais je n'ai vu l'avenir de mon université aussi inquiétant.» Il y a en effet de quoi être très inquiet.

Au-delà du fait que cette loi matraque ne réglera rien, on peut s'inquiéter du message qu'elle envoie à la jeunesse. On reproche souvent aux jeunes d'être individualistes. Voilà qu'ils se lèvent pour défendre l'accès à l'éducation pour tous. Et on les traite comme des voyous en prétendant agir pour l'avenir du Québec. Drôles de voyous que ces jeunes gens souvent plus éloquents que bien des politiciens.

«Ça me fait perdre foi en nos institutions démocratiques», a dit Léo Bureau-Blouin. Pour les étudiants, ce projet de loi qui brime la liberté d'expression est pire encore que la hausse des droits de scolarité, a souligné Martine Desjardins. Combien de jeunes brillants et talentueux comme eux, jugés coupables de s'être tenus debout, ne font déjà plus confiance aux institutions?