«Allez-vous-en!», a crié dans son porte-voix un manifestant devant le palais de justice. «Que personne ici ne réponde aux questions des médias!»

En voyant ce jeune homme chasser les «médias délateurs», en voyant des collègues pris à partie par des manifestants, j'ai éprouvé un profond malaise. Je me suis vue hésiter quelques secondes avant de sortir mon calepin. Et je me suis rappelé avec consternation que la dernière fois que j'ai eu une telle hésitation, c'était à la place Tahrir, où la liberté de la presse n'allait pas de soi.

Il n'y a évidemment aucune commune mesure entre l'intimidation subie par les reporters québécois qui couvrent la grève étudiante et le sort réservé aux journalistes dans des régimes répressifs. J'ai déjà dit tout le mal que je pensais de l'expression «printemps érable», fort jolie et romantique, bien que néanmoins ridicule. Je n'ai pas changé d'avis.

Il n'y a évidemment aucune commune mesure entre l'un et l'autre. Et c'est justement pour cette raison que j'éprouve un profond malaise devant toute tentative d'intimidation des médias.

Supprimer la liberté de la presse, c'est ce que font les gouvernements répressifs. Les méthodes employées hier par une poignée de manifestants radicaux, aucunement représentatifs de l'ensemble du mouvement étudiant, ne peuvent être assimilées à celles d'un régime dictatorial. «Mais c'est le même germe qui est à l'oeuvre», a souligné avec raison hier Brian Myles, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Il y a là une dérive fumigène qu'il faut dénoncer.

Depuis le début de la grève étudiante, des journalistes ont été la cible de menaces et d'intimidation. Les injures font partie de leur quotidien. Certains ont été roués de coups. Un reporter s'est fait uriner dessus. Des équipes de télé ont dû faire appel à des agents de sécurité. Le groupuscule radical Force étudiante critique en appelle à viser les médias.

À la base de cette dérive, une profonde méconnaissance des médias et de l'importance de la liberté de la presse dans une société démocratique. On peut reprocher bien des choses aux médias. On peut critiquer le traitement médiatique réservé aux suspects du métro. On peut reprocher à certains de les avoir taxés à tort de «terroristes». Leurs familles peuvent avoir de bonnes raisons de ne pas vouloir s'adresser aux médias. De là à bafouer la liberté de presse en chassant les journalistes d'une manifestation qui se déroule dans un lieu public, il y a un pas. Un glissement dangereux qui ne sert en rien la cause étudiante. Une cause que je continue d'appuyer, soit dit en passant, même si j'ai été accueillie par quelques doigts d'honneur, hier. L'éditorial de La Presse prône la hausse des droits de scolarité, ce qui en fait fulminer certains. Mais plusieurs chroniqueurs appuient les revendications étudiantes. C'est malheureusement le genre de nuances dont ne s'embarrassent pas ceux qui préfèrent le muselage et les théories du complot.

Je peux comprendre l'amertume des étudiants devant ce conflit qui s'enlise. Mais c'est bien mal comprendre le travail des journalistes de dire qu'ils sont à la solde du «grand capital» et du gouvernement. Sans journalistes, il n'y aurait pas d'enquête publique sur l'industrie de la construction. Sans journalistes, il n'y aurait pas eu d'enquête sur le scandale des commandites. N'en déplaise à ceux qui me disaient hier que les médias sociaux et le «bouche à oreille» rendent les grands médias inutiles, on n'a, à ma connaissance, jamais vu d'enquête publique déclenchée à la suite d'un «tweetfight» ou d'une simple opération de bouche à oreille.

C'est bien mal comprendre aussi le travail des journalistes de croire qu'ils sont complices de la police. C'est oublier que les médias doivent constamment se battre pour protéger leurs sources. Il arrive encore que des policiers, qui comprennent parfois tout aussi mal le rôle des journalistes, les arrêtent dans le cadre de leur travail (lors d'une couverture de manifestation, par exemple). Il arrive trop souvent qu'ils tentent de confisquer leur matériel journalistique et se heurtent à une forte résistance. Ce n'est pas tout à fait ce qu'on appelle une «belle complicité».

On peut critiquer les médias. Il est sain de le faire. Mais la violence et l'intimidation demeurent aussi inacceptables qu'inutiles.