Rester en Haïti et mourir là-bas ou venir seule ici et laisser son enfant dans un orphelinat?

C'est le dilemme terrible de Diane Thibaudeau, une Québécoise qui vit en Haïti depuis plus de 15 ans.

Psychopédagogue de formation, Diane n'est pas allée en Haïti pour y adopter un enfant, mais pour aider les plus démunis. Travailleuse humanitaire atypique, elle n'est pas de ceux qui vivent dans des villas luxueuses derrière des barbelés. Elle survit avec trois fois rien dans une petite case fissurée sans eau ni électricité. Ma collègue Chantal Guy, en voyage en Haïti récemment, l'a rencontrée chez elle, près de Jacmel. Elle a été bouleversée par son histoire.

Il y a cinq ans, on a cogné à la porte de Diane. Une dame haïtienne du nom de Rosaire venait d'accoucher. Elle voulait confier son nouveau-né à Diane. Cet enfant était son sixième. Elle ne pouvait s'en occuper. Son premier enfant était mort avant l'âge de 1 an. Les trois suivants avaient été placés. Le cinquième, mort aussi, à trois ans et demi.

L'enfant, né prématurément, ne pesait qu'un kilogramme et des poussières. «Si tu ne le prends pas, Diane, il va mourir.»

Au départ, Diane ne voulait rien savoir de ce bébé. Elle avait des ennuis de santé et songeait à rentrer au Québec. Pas question pour elle de s'occuper d'un enfant.

C'était avant de le voir. Quand elle a vu ce bébé de 3 jours, si petit, si fragile, elle a craqué. «Ç'a été un attachement instantané», me raconte-t-elle, une émotion dans la voix.

Rosaire lui a dit: «Va-t'en avec lui. C'est ton fils.» Diane, très croyante, s'est sentie investie d'une mission. «Il m'est tombé du ciel!», dit-elle. Elle n'avait rien demandé. Elle n'avait pas acheté l'enfant. Il ne lui avait pas été vendu. Il lui avait été mis dans les bras par une mère qui lui avait dit: «Sauve-le pour moi.»

Diane l'a tout de suite mis au sein. Elle a choisi son nom: Raphaël Emmanuel. Elle l'a nourri. Elle l'a bercé. Elle l'a aimé. Elle a réussi à le sauver.

Cinq ans plus tard, Raphaël se porte à merveille. «C'est le fils de Diane», me dit sans hésiter Rosaire, qui a consenti à ce que le nom de Diane figure sur l'acte de naissance.

Mais la santé de Diane dépérit. Les dernières années ont été éprouvantes. Sinistrée du cyclone Gustav en 2008. Puis sinistrée du tremblement de terre en 2010. Elle a subi les assauts d'une typhomalaria, du choléra et du scorbut. Elle a un os de la bouche à découvert. Il y a un mois, elle a dû être hospitalisée d'urgence. Elle a failli y passer.

Gravement malade, Diane a besoin de rentrer au pays le plus vite possible. Mais pas question de le faire sans son fils. C'est là que ça se complique. Citoyenneté et Immigration Canada ne lui permet pas de quitter Haïti avec Raphaël, dont le statut ne cadre dans aucune case. Les consentements signés par la mère biologique devant un officier de l'État civil haïtien ne sont pas valides, lui dit-on. On lui suggère de faire garder l'enfant en Haïti, le temps de se faire soigner. Une solution qui n'en pas une pour Diane. Elle n'a personne à qui confier son fils.

Pour pouvoir emmener Raphaël au Canada, Diane doit l'adopter selon les règles de droit interne haïtien pour ensuite le parrainer en vertu des lois canadiennes. Un casse-tête bureaucratique monstrueux. Les lois haïtiennes en matière d'adoption sont «obsolètes», a récemment signalé un rapport de l'ONU. Diane a bien tenté quand même de s'y conformer, forte du consentement de Rosaire. En vain. Sacrifiant un don envoyé par l'ange gardien québécois qui l'aide à survivre, elle a englouti 1000$ dans des procédures d'avocats qui n'ont jamais abouti. L'équivalent de son budget d'un an.

Au Québec, les proches de Diane ont remué ciel et terre pour l'aider. Lettres aux députés, lettre à l'ex-gouverneure générale Michaëlle Jean... En vain.

Il y a des jours où Raphaël pleure. «Maman, ne me laisse pas à l'orphelinat.»

Diane jure qu'elle ne lui fera jamais ça. «On ne prend pas un enfant de 5 ans qui a goûté à l'amour maternel pour le mettre à l'orphelinat. Le laisser mourir dès la naissance aurait été moins inhumain.»

Photo: Chantal Guy, La Presse

Gravement malade, la Québécoise Diane Thibaudeau qui vit en Haïti a besoin de rentrer au pays le plus vite possible. Mais pas question de le faire sans Raphaël, 5 ans, son fils adoptif.