Gatineau, meilleur endroit où vivre au Canada? C'est ce que nous dit le palmarès du magazine MoneySense. En fait, on n'y parle pas uniquement de Gatineau, mais d'une ville fusionnée qui n'existe pas, à cheval entre deux provinces et deux langues, et traversée par une rivière: «Ottawa/Gatineau».

J'ai donc quitté la ville qui est 123e au classement (Montréal) pour viser la tête du palmarès. Dans le train pour Gatineau (qui est en fait le train pour Ottawa), j'ai lu le neuvième chapitre d'un ouvrage savant ayant fait beaucoup de bruit sur la scène municipale gatinoise qui, elle, n'en fait pas beaucoup.

Le chapitre controversé en question1 parle de l'opposition mise en évidence après la fusion gatinoise entre deux conceptions très différentes de la démocratie municipale: d'un côté, une conception dite classique et minimaliste qui voit la municipalité essentiellement comme une simple «pourvoyeuse de services» régnant sur les nids-de-poule, les poubelles et les bancs de neige; de l'autre, une conception dite progressiste laissant une plus large place à la participation des citoyens et aux enjeux sociaux comme la pauvreté ou le décrochage scolaire.

Selon les auteurs de l'étude, le maire de Gatineau, Marc Bureau, est plutôt un maire «nid-de-poule». Ils ne le disent pas comme ça, bien sûr. Mais ils disent que son administration incarne davantage une conception traditionnelle de la politique municipale. Une analyse que le principal intéressé, un ex-libraire plutôt timide que rien ne semblait destiner à la politique, réfute sans hausser le ton. Son administration fait tout ce qu'elle doit faire, me dit-il. Il me cite comme premier fait d'armes les palmarès qui font briller sa ville. «La région de Gatineau/Ottawa a été décorée quatre fois dans les cinq dernières années comme la région par excellence pour la qualité de vie au Canada! On finit premiers! On a des rivières, on a des lacs en pleine ville, on a une très, très grande qualité de vie. On a un parc fédéral en pleine ville - le parc de la Gatineau. On a une belle mixité. On vient de bâtir un centre sportif qui est le plus gros depuis les Jeux olympiques de 1976...»

Deux jours avant, à l'ouverture de la séance du conseil municipal, M. Bureau a aussi vanté la «période de croissance exceptionnelle» que connaît Gatineau. Il a terminé son discours en faisant référence une fois de plus à la belle image brossée par les palmarès. «La ville de Gatineau offre le meilleur milieu de vie au pays. Il faut continuer.»

De quoi se plaignent donc les universitaires? Les bonnes notes obtenues par Gatineau ne montrent-elles pas que l'administration municipale fait du bon travail? Pas nécessairement, répond le politologue Guy Chiasson, qui me reçoit à l'Université du Québec en Outaouais, en compagnie de son collègue urbaniste Mario Gauthier. «Les résultats en matière de qualité de vie ou l'image projetée par MoneySense ont relativement peu à voir avec l'administration municipale. Ce n'est pas pour dire que l'administration municipale ne fait rien pour améliorer la qualité de vie, mais les indicateurs que retiennent ces classements sont des variables sur lesquelles l'administration municipale a une emprise relativement peu importante.»

La qualité de vie aurait été la même peu importe le maire, renchérit le conseiller de Buckingham Maxime Pedneaud-Jobin, que les universitaires placent dans le camp des «progressistes». C'est la fusion et les nouvelles possibilités qu'elle offre qui ont donné envie à ce conseiller de 43 ans, vu comme le chef de l'opposition (et possible aspirant maire) de Gatineau, de quitter un emploi deux fois plus payant pour faire de la politique municipale. Gatineau doit être plus ambitieux, croit-il. «On est une ville extrêmement dynamique sur les plans démographique, économique et culturel. Mais c'est sur le plan politique que l'on stagne. Notre Ville ne reflète pas le dynamisme de la communauté.»

Pourquoi Gatineau stagne-t-il? Si vous posez la question à l'ex-maire coloré Robert Bob Labine, politicien doubléd'un homme d'affaires, il vous dira que le maire Bureau, aussi gentil soit-il, manque de leadership et de sens pratico-pratique. «Une ville, c'est juste de la construction», dit l'homme de 70 ans, destitué en 1994 pour cause de conflits d'intérêts, ce qui ne l'a pas empêché de se faire réélire cinq ans plus tard. «Les gens qui comprennent les bases de la construction auront une facilité, selon moi, pour administrer une ville. Contrairement à des professionnels qui sont habitués de s'obstiner sur les virgules pour avoir les paragraphes et les phrases comme il faut.»

Bob Labine trouve que l'administration municipale a trop tendance à s'occuper de ce qui ne la regarde pas. Il donne l'exemple du débat sur la malbouffe dans les arénas de Gatineau. «Moi, administrer des hot-dogs... On voudrait administrer des choses qui n'ont rien à voir avec la Ville!»

Mais selon les politiciens municipaux «progressistes», la Ville devrait au contraire se mêler davantage d'enjeux importants qui, traditionnellement, lui échappaient. Pour Maxime Pedneaud-Jobin, l'un des grands défis des années à venir, c'est le rapprochement du monde scolaire et du milieu municipal. «Les minimalistes vont dire: c'est juste quelque chose qui coûte de l'argent. C'est à Québec de s'en occuper, ça ne relève pas de nous. Moi, je prétends que les jobs manuels sont en Chine. Ce qui va faire notre richesse dans l'avenir, c'est le cerveau des enfants.»

Dix ans après la fusion, Gatineau n'est plus la ville-dortoir qu'elle était, constate le conseiller municipal. Elle commence à jouer un certain rôle de métropole régionale sur le plan économique. Mais il aimerait que la Ville soit plus ambitieuse encore. «Est-ce que Gatineau joue son rôle de quatrième ville du Québec? Est-elle présente dans les débats québécois? Est-ce que le maire de Gatineau est un acteur quand vient le temps de prendre des décisions pour les villes au Québec? Moi, ma réponse, c'est non.»

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1. «Les élections municipales de 2009 à Gatineau : quel modèle de démocratie urbaine?» par Guy Chiasson, Mario Gauthier et Caroline Andrew. Les élections municipales au Québec: enjeux et perspectives. Presses de l'Université Laval, 2011.