Mario Hamel aurait dû être hospitalisé et soigné contre son gré. C'est ce qu'on se dit en regardant le bouleversant reportage de l'émission Enquête qui raconte la tragédie de ce père de famille, ex-sans-abri, atteint de graves problèmes psychiatriques, tombé sous les balles des policiers le 7 juin à Montréal alors qu'il était en crise.

Ce matin-là, rue Saint-Denis, deux hommes sont morts: Patrick Limoges, employé de l'hôpital Saint-Luc, victime d'une balle perdue alors qu'il se rendait au travail, et Mario Hamel, un homme en détresse, armé d'un couteau, devenu un danger public. Deux morts de trop, cela va sans dire.

Y aurait-il eu d'autres moyens de maîtriser Mario Hamel? Pourquoi les policiers se sont-ils placés si près de lui? Comment se fait-il qu'un passant qui n'avait rien à voir avec l'incident a été tué par balle? Accident malheureux ou incompétence?

Une enquête de la Sûreté du Québec est en cours. Mais il est peu probable qu'elle permette de répondre à ces questions. Les enquêtes de la police sur la police nous ont malheureusement habitués à trop d'opacité pour qu'on puisse en espérer quelques lueurs. Encore cette semaine, dans son rapport annuel, la Protectrice du citoyen souligne le fait que, plus d'un an après la publication de son rapport spécial sur les enquêtes réalisées lors d'incidents impliquant des policiers, le ministère de la Sécurité publique n'a apporté aucune amélioration au processus d'enquête. Le ministre Robert Dutil promet des changements cet automne, mais pour le moment, il y a toujours et encore apparence de partialité.

Pour faire la lumière sur la tragédie qui a emporté Patrick Limoges et Mario Hamel, il faudra se résoudre à ouvrir une véritable enquête publique. Au-delà des questions évidentes qu'entraîne cette tragédie (bavure ou légitime défense? hasard ou négligence?), il faudra voir ce qui aurait pu être fait en amont pour la prévenir.

Fallait-il donc, comme le suggère l'enquête de Radio-Canada (1), forcer Mario Hamel à se faire soigner? Il y a bien sûr des limites à vouloir aider quelqu'un qui ne veut rien savoir de l'être. On sait que la loi interdit de contraindre une personne à consulter, à moins qu'elle ne constitue un danger pour elle-même et pour les autres. Or, le reportage d'Enquête montre que, deux semaines avant sa mort, Mario Hamel s'est présenté deux fois chez sa mère en état de psychose. Sous les yeux des policiers, il a menacé de la tuer. Mais les policiers n'ont pas saisi cette occasion de le faire hospitaliser. Ils se sont contentés de lui faire quitter les lieux et de suggérer à sa mère de s'adresser à la Cour pour forcer son fils à subir une évaluation psychiatrique. Une suggestion absurde, comme si on demandait à une victime d'offrir à son bourreau d'autres prétextes pour la menacer.

Pourquoi les policiers n'ont-ils pas conduit de force Mario Hamel à l'hôpital, comme ils étaient autorisés à le faire en pareille circonstance? On ne le sait pas - le SPVM n'émet aucun commentaire sur le sujet puisqu'une enquête est en cours. Mais un rapport de la Direction de la santé mentale du ministère de la Santé publié en janvier suggère quelques pistes qui illustrent à quel point l'intervention policière dans des cas semblables est délicate et complexe.

Le rapport porte sur la difficulté d'appliquer la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Il souligne que plusieurs policiers se disent mal à l'aise d'intervenir auprès d'une personne en crise, car ils se sentent mal outillés pour le faire. Ce malaise est accentué par leur méconnaissance de la Loi sur la protection des personnes, leur méconnaissance des services d'aide en situation de crise ou le fait que ces services sont parfois insuffisants. Il va de soi qu'un policier ne peut à lui seul pallier le manque de ressources de suivi intensif dans la communauté.

Le malaise des policiers peut aussi être accentué par la culture policière qui exige qu'ils règlent rapidement un problème, ce qui est impossible dans un tel cas. Ou encore par le fait que le «danger grave et immédiat» demeure une notion bien subjective. Tout le monde ne s'entend évidemment pas sur la définition. À partir de quand est-il souhaitable de limiter les droits fondamentaux d'une personne en l'obligeant à se faire soigner? La frontière entre la prévention et l'abus n'est pas toujours claire. Parfois, des policiers s'offusquent du fait qu'une personne qu'ils ont emmenée à l'hôpital n'y soit pas gardée. Souvent, devant le même homme en crise, les professionnels du réseau de la santé et les policiers voient deux choses bien différentes, surtout dans un contexte où on favorise (avec raison) la déjudiciarisation en santé mentale.

Bref, on l'aura compris, la mort de cet homme en détresse qui refusait qu'on le soigne soulève une foule de questions fondamentales. Rien ne le ramènera à la vie. Mais une enquête publique permettrait sans doute de soigner un peu mieux les plaies laissées par cette tragédie.

(1) Vous pouvez voir le reportage de l'émission Enquête «L'homme qui ne voulait pas qu'on le soigne», de Madeleine Roy, sur TOU.TV.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri @lapresse.ca