Lire le reportage qu'a fait ma collègue Ariane Lacoursière au Danemark donne presque le goût d'être vieux. On cite souvent en exemple ce pays nordique pour les soins que les personnes âgées y reçoivent. Et pour cause. Le gouvernement danois fait tout ou presque pour permettre aux gens de vieillir chez eux, de la façon la plus digne qui soit. Zéro attente pour recevoir du soutien à domicile. Services publics diversifiés et sans limites, même pour les personnes âgées en lourde perte d'autonomie. Un petit porto, avec ça? Pourquoi pas?

Est-il farfelu de songer à importer au Québec le modèle danois de soins aux personnes âgées? Pas du tout, me dit le Dr Réjean Hébert, professeur à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke.

Coprésident de la Commission sur les conditions de vie des aînés en 2007, le Dr Hébert est gériatre et gérontologue. Il a étudié sous toutes ses coutures la question du vieillissement et de la perte d'autonomie. Cela fait plus de 25 ans qu'il plaide pour de meilleurs soins à domicile. Il ne tarit pas d'éloges sur le système danois, qui l'a beaucoup impressionné.

Quelles leçons tirer du Danemark? Il ne s'agirait évidemment pas de faire une simple opération de «copier-coller» qui fasse abstraction du contexte québécois. Mais certains principes du modèle danois sont tout à fait applicables ici, si on le veut bien. À commencer par un principe fondamental: au lieu d'obliger les personnes âgées à se déplacer vers les services, on offre les services là où elles habitent, peu importe l'étendue de ces services.

C'est là la différence fondamentale entre le Québec et le Danemark, remarque le Dr Hébert. Ici, les personnes âgées en perte d'autonomie doivent souvent déménager, et deux fois plutôt qu'une. D'abord dans une résidence supervisée qui offre des soins intermédiaires si leur état nécessite d'une heure et demie à trois heures de soins par jour. Puis, lorsque leur état se dégradera davantage, il leur faudra déménager de nouveau, cette fois dans un CHSLD, où elles finiront leurs jours.

Les services cinq étoiles offerts au Danemark ont bien sûr un prix. Un prix que se partage l'ensemble de la société. Les Danois payent jusqu'à 60% d'impôts. Et leur taxe de vente est de 25%. Mais les gens ne se plaignent pas pour autant, car ils reçoivent des services à la hauteur de leur investissement, note le Dr Hébert. «Au Québec, c'est vrai que nous payons de l'impôt, mais pas suffisamment, à mon point de vue. Ce qui fait que nous sommes toujours frustrés parce que nous n'avons pas les services qui correspondent aux standards de qualité que nous nous sommes donnés».

L'investissement n'est donc pas suffisant. Pire encore, il est mal réparti. «Au Québec, on consacre 85% du budget des soins aux personnes âgées à l'hébergement, et seulement 15% aux soins à domicile», rappelle le Dr Hébert. Au Danemark, c'est presque l'inverse: 73% du budget des soins de longue durée est consacré aux soins à domicile.

Or, privilégier les solutions institutionnelles finit par coûter très cher, et ce n'est pas nécessairement mieux. «Les pays comme le Danemark ont fait le virage vers de meilleurs soins à domicile parce qu'ils ont vu que c'était intenable de parquer les vieux dans des centres d'hébergement, souligne le gérontologue. C'est intenable d'un point de vue économique. Intenable aussi sur le plan de la qualité de vie des personnes. Cela entraîne toutes sortes d'effets pervers. Comme de séparer des couples quand l'un est en perte d'autonomie et l'autre pas.»

En théorie, Québec semble tout à fait d'accord avec le modèle danois, qui privilégie le maintien à domicile. Extrait de la politique Chez soi, le premier choix, adoptée en 2003: «Les services à domicile ne doivent plus être considérés comme une mesure de substitution, une «solution de rechange» à l'hébergement en établissement ou à l'hospitalisation. La lorgnette doit être inversée. Tous les intervenants [...] doivent contribuer à l'objectif de soutien à domicile, qui constitue le fondement même de la Loi sur les services de santé et les services sociaux.»

En pratique, même si le gouvernement Charest s'est engagé encore récemment à accroître les soins à domicile et à mettre au point une politique Vieillir chez soi, nous sommes à des années-lumière du modèle danois. «On a annoncé à peine 50 millions pour les soins à domicile alors qu'il faudrait 400, 450 millions!» souligne le Dr Hébert.

La lorgnette doit être inversée, mais elle ne l'est pas. On affirme une chose et on fait le contraire. On dit que vieillir chez soi est le premier choix, sans donner aux gens un véritable choix. On promet le Danemark, mais on n'offre que la liste d'attente du CHSLD.

Malheureusement, ceux qui sont le plus lésés par autant d'incohérence n'ont plus la force de se plaindre.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca