La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) n'a pas encore tranché. Mais le verdict du tribunal populaire, lui, est tombé depuis longtemps: «Qu'il retourne dans son pays.»

À première vue, la cause de Dany Villanueva n'est pas la plus sympathique qui soit. Elle ne met pas en scène une victime au-dessus de tout reproche. En avril 2006, le jeune homme a reconnu sa culpabilité dans une affaire de vol qualifié. Il avait alors volé la chaîne au cou d'un adolescent qui, selon lui, lui devait de l'argent. Il a aussi reconnu s'être trouvé dans la voiture de son père en possession d'un pistolet de calibre 22. Il a été condamné à 11 mois de prison. Il a purgé sa peine. Mais comme il est résident permanent (et non citoyen canadien), cette condamnation a fini par lui valoir un ordre d'expulsion vers son pays d'origine pour cause de «grande criminalité» au sens de la Loi sur l'immigration.

J'écris «a fini par lui valoir» et non «lui a valu», car comme l'a révélé Rue Frontenac, les autorités semblent avoir changé leur fusil d'épaule à la suite de la mort du frère de Dany Villanueva, Fredy, abattu par un policier à Montréal-Nord en août 2008. En 2007, lorsqu'un premier rapport de l'Agence des services frontaliers concernant le jeune homme a été transmis au délégué du ministre de la Sécurité publique, il est resté lettre morte. On n'a pas jugé que le crime reproché justifiait des procédures d'expulsion. À la suite de la mort de Fredy Villanueva, tout a changé. Dès lors, le dossier semble avoir été traité avec un zèle particulier. L'Agence des services frontaliers a brandi un deuxième rapport sur Dany Villanueva. Cette fois-ci, on a jugé qu'il méritait des procédures d'expulsion.

Même crime, autre verdict. Pourquoi? Est-ce un hasard si les procédures d'expulsion ont été entamées au moment où l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva faisait grand bruit? Voulait-on se débarrasser ou faire le procès d'un témoin-clé devenu embarrassant? Y aurait-il eu une procédure de renvoi s'il n'y avait pas eu d'enquête du coroner? Y a-t-il eu ingérence?

Hier, devant la section d'appel de la CISR, l'avocate de l'Agence des services frontaliers plaidait qu'il n'y avait rien eu d'anormal dans ce dossier, sinon que l'on avait suspendu temporairement les procédures à la suite du décès de Fredy Villanueva «par respect pour la famille». Si c'est le cas, il est pour le moins étrange que l'Agence ait repris les procédures d'expulsion au moment même où se déroulait l'enquête du coroner.

«J'ai déjà perdu un fils. Je ne veux pas perdre l'autre», dit la mère de Dany Villanueva, Lilian Madrid. Si la cause de son fils, qui a commis plusieurs infractions criminelles, n'est pas la plus limpide qui soit, on ne peut l'isoler de son contexte tragique. Le destin de la famille Villanueva en est un particulièrement triste. L'histoire d'un grand rêve brisé. En décembre 1995, Lilian Madrid et son mari Gilberto ont dû fuir leur Honduras natal pour survivre. Petits cultivateurs, ils étaient membres d'une coopérative agricole. De grands propriétaires ont voulu, de façon assez brutale, reprendre les terres de la coopérative. Gilberto a été torturé. On lui a coupé le bout de deux doigts. Il a eu la clavicule fracassée. On a tenté de l'assassiner.

Pour sauver sa peau, le couple a été contraint de laisser derrière lui ses jeunes enfants et de fuir. Quand Lilian et Gilberto ont obtenu le statut de réfugié au Canada, ils ont cru en un nouveau départ. En 1998, leurs enfants ont pu venir les rejoindre ici. Lilian, qui avait tant craint pour leur vie, pensait qu'ils étaient enfin en sécurité. Mais son rêve d'une vie paisible a volé en éclats un soir d'août 2008 quand son fils Fredy est mort lors d'une intervention policière qui a mal tourné. Il n'avait pas de casier judiciaire. Il n'était pas armé. Une émeute a embrasé le quartier. Une enquête du coroner a été mise en place pour faire la lumière sur la mort du jeune homme.

Dany Villanueva a déjà été puni pour les infractions criminelles qu'il a commises. Il dit regretter ses erreurs. Hier, il s'est engagé à respecter les conditions qui lui seraient imposées si on lui accordait un sursis. Il aimerait déménager en Ontario et recommencer sa vie à zéro. Il craint d'être assassiné s'il est expulsé au Honduras. Le renvoyer dans ces circonstances équivaut à lui imposer une double peine. C'est aussi infliger une peine encore plus lourde à ses parents, qui ont déjà perdu un fils dans les circonstances tragiques que l'on sait.

L'enquête du coroner, dont on attend désormais les conclusions, ne peut rendre aux parents de Fredy Villanueva leur fils. Mais il serait pour le moins pernicieux que, par un malheureux contrecoup, sa conclusion première soit de leur faire perdre leur autre fils. L'équité commande qu'on lui accorde au moins un sursis.