«Est-ce qu'il est mort?»Dans ses mains d'enfant, le journal. La photo d'un joueur du Canadien étendu sur la glace, sans connaissance.

Tous les matins, c'est son nouveau rituel. Il se lève à l'aube, va chercher La Presse, en extirpe le cahier des sports comme si sa vie en dépendait. Après avoir vérifié les résultats de ses héros et le nouveau classement de la LNH, il propose à son petit frère un atelier de découpage matinal.

En général, dès 6h30, la revue de presse est terminée et le journal est taillé en mille morceaux. En direct de mon oreiller, j'ai d'abord droit à un bilan détaillé des résultats de la veille livré par un commentateur chevronné de 7 ans. Ensuite, avec des ciseaux à bouts ronds, bien sûr, tout est découpé. Les photos des joueurs en action sont collées sur le mur. Vers 6h45, il ne reste du cahier des sports qu'un souvenir troué, comme si un censeur furieux l'avait feuilleté. Et tant pis pour ceux qui aiment encore lire la version papier du journal dans son intégralité. Ils n'avaient qu'à se lever plus tôt.

Ce matin-là, donc, c'était mercredi, mon service express de revue de presse et de censure aux fins de décoration intérieure semblait avoir été ébranlé par cette photo troublante d'un joueur couché sur la patinoire - ce qui n'avait pas empêché le patron en pyjama du ministère de la Censure de faire un trou dans un article de Richard Labbé pour récupérer une image au verso.

«Est-ce qu'il est mort?

- Non, mon chéri, il n'est pas mort.»

Il était encore tôt. Il est allé dans le salon, a allumé la télé, dérogeant ainsi à son rituel. Il a regardé les images à RDS. On montrait la scène en boucle. Et on disait que le hockey était un «sport de contact», ceci expliquant cela.

«Est-ce qu'il est mort?» J'ai pensé naïvement qu'il était ébranlé. Mais non, il n'était pas ébranlé. Il a regardé les images et, du haut de ses 7 ans, il a trouvé ça finalement tout à fait normal. C'est un sport de «contact», qu'ils disent. Un terme générique qui, semble-t-il, englobe n'importe quoi jusqu'à ce que mort s'ensuive. «Tu sais pas c'est quoi, une mise en échec, maman?»

J'ai pensé naïvement qu'il était ébranlé. C'est moi, finalement, qui étais le plus ébranlée. Comment se fait-il que, dès le plus jeune âge, on puisse être ainsi programmé pour trouver normale cette culture de la violence? Comment se fait-il que mon fils ait déjà intégré cette culture contraire à tout ce que l'on croit lui avoir enseigné?

Un enfant de 7 ans se lève, voit les images d'un joueur de hockey gisant comme un cadavre sur la glace et il trouve, comme le disent plusieurs commentateurs, que ça fait partie du jeu. C'est un accident. Ça arrive, maman. Dans n'importe quelle autre circonstance, on aurait dit qu'il y a là un gars qui (intentionnellement ou pas) en a presque tué un autre. Mais pas au hockey. Au hockey, c'est normal. Ça arrive. Il faut accepter l'inacceptable. «Tu sais pas c'est quoi, une mise en échec?»

Je n'ai pas appris cette semaine que le hockey peut être un sport qui banalise la violence. J'ai déjà fréquenté le cahier des sports avant qu'il ne m'arrive troué. Je savais que le hockey n'est pas tout à fait une forme de yoga pratiqué avec une rondelle. Mais je croyais quand même que je pouvais, plus ou moins subtilement, exploiter pour le mieux la fascination qu'exerce ce sport sur mon fils. J'échange des cartes de hockey contre de bonnes notes en dictée. J'allonge la séance de lecture du soir en proposant des livres sur le hockey.

Il y a tout un côté du hockey que j'aime. Apprendre à perdre. Apprendre à gagner. Avoir des héros. Apprendre à se dépasser, à tomber et à se relever. Suivre ce fil tout en zigzag qui relie mes enfants, leur grand-père gaspésien et leur arrière-grand-mère syrienne, unis par leur amour de la même équipe.

Le hic, c'est que, malgré les hauts cris et les dénonciations, la culture qui banalise la violence au hockey semble plus forte que tout. Une culture qui dit: on est contre la violence, oui, bien sûr, mais ça fait partie du jeu. On est contre, oui, mais à condition de pouvoir la regarder. On est contre, mais pour rien au monde on ne manquerait une minute de bagarre. Un vrai rouleau compresseur devant lequel je me sens finalement bien ridicule avec mes petits ciseaux à bouts ronds.

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