«Tu ne pourras rien faire dans la vie. Tu peux juste être clown.»

Voilà ce que l'on a prédit à Valérie. C'était bien mal connaître cette fille entêtée.

Valérie a 19 ans. Elle mesure tout juste quatre pieds. Elle se décrit comme une personne «de petite taille». Je pourrais dire «naine», mais Valérie a des rapports tendus avec ce mot. Trop de blessures associées. Durant toute son enfance, elle a été réduite à cette étiquette. Elle vient de Rouyn-Noranda. Et d'aussi loin qu'elle se souvienne, on l'appelait Valérie-la-naine ou juste «la naine». Pas génial pour l'estime de soi, me dit-elle. «J'ai un nom comme tout le monde!»

À 16 ans, Valérie a décidé qu'elle en avait assez d'être «la naine». Pour retrouver son nom, elle a changé d'école, changé de ville, changé de vie. Elle n'oubliera jamais sa première journée dans sa nouvelle école secondaire. Tout le monde la regardait. Elle ne connaissait personne. Très vite, de sa voix assurée, elle a coupé court aux railleries. «Je ne m'appelle pas la naine. Je m'appelle Valérie Tourangeau.»

En montrant qu'elle n'avait rien d'une bête de cirque, Valérie a réussi à se faire respecter et à se débarrasser petit à petit de ses complexes. Ce qui n'a pas empêché certains de lui dire qu'elle ne pouvait espérer être autre chose qu'un clown. «Voyons donc, un clown!» s'est dit Valérie, furieuse.

«Mais je pourrais devenir enseignante?

- Tu vas te faire écoeurer par les jeunes.

- Infirmière?

- T'es beaucoup trop petite!

- Nutritionniste?

- S'ils ont la chance d'embaucher quelqu'un d'autre, ils vont embaucher quelqu'un d'autre.»

L'avenir avec un nez de clown? Valérie n'a pas pleuré. Elle n'a pas crié. Elle a fait de ce conseil ridicule un ressort. «Excusez-moi. Quoi que vous en pensiez, je vais aller très loin dans la vie. Ce n'est pas parce que je mesure quatre pieds que je vais devenir clown. Je n'irai pas me ridiculiser pour faire rire les gens.»

Encouragée par sa mère ainsi que par des médecins et des infirmières qui connaissaient sa force de caractère, Valérie a décidé de s'inscrire en soins infirmiers et n'écarte pas la possibilité d'étudier par la suite en orthophonie. Rien ne lui semble trop haut. Les solutés des patients? On peut très bien les baisser. Les lits? Même chose. Pour le reste, un banc antidérapant fera l'affaire.

«Aujourd'hui, je suis sûrement la fille qui a la plus haute estime de soi. J'ai vraiment réussi à m'accepter», dit-elle, le regard déterminé. Elle donne même des conférences sur l'estime de soi devant des élèves du primaire et du secondaire. À l'heure où la recherche maladive du corps parfait tyrannise les filles dès leur plus jeune âge, son discours a quelque chose de franchement provocateur.

Que dit-elle aux jeunes qu'elle rencontre? Elle se raconte. Elle raconte comment ses parents, qui sont de taille normale, ont appris son diagnostic à l'âge de 16 mois. Le choc de sa mère qui a eu très peur que l'on se moque de sa fille. Le primaire et les railleries. Les nombreuses opérations qu'elle a dû subir pour redresser ses jambes. Le regard toujours étonné des gens. L'impossibilité de passer inaperçue. Les remarques dont il vaut mieux rire. L'adolescence et son tumulte. Les complexes des copines qui se trouvaient trop ceci ou pas assez cela. Et comment ces complexes lui donnaient à son tour des complexes. Car si ces filles, de taille normale, ne s'acceptaient même pas, comme elle, de petite taille, allait y arriver?

Elle leur dit finalement ce qu'elle a appris à la dure: pour être respectée, il faut d'abord se respecter. Avez-vous des questions?

«Est-ce que tu peux faire l'amour?» lui demandent souvent les jeunes. Ça la fait rire. «Ben oui! Pourquoi je ne pourrais pas?»

«Est-ce que tu vas pouvoir avoir des enfants?

- Ben oui. Mon tronc est normal, c'est juste mes jambes qui sont plus petites.

- As-tu un amoureux?

- Non, je suis célibataire depuis deux mois. J'ai toujours fréquenté des personnes de taille normale.

- Est-ce que tes enfants vont être comme toi?

- Si j'ai des enfants avec une personne de petite taille, c'est une chance sur deux. Si le père est de taille normale, une chance sur quatre.

- Est-ce que ça te fait peur?

- C'est une question difficile que l'on me pose souvent. J'aimerais avoir des enfants de taille normale, même si je sais que l'on peut être de petite taille et heureux. Ce qui me fait peur, c'est qu'il y a beaucoup de problèmes de santé associés, même si, moi, j'ai la chance de ne pas en avoir».

Valérie veut surtout que l'on comprenne qu'en dépit des apparences, elle mène une vie tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Très sportive, elle aime particulièrement la danse. Dès mardi, elle montera d'ailleurs sur les planches de l'Usine C pour le spectacle De la tête au ciel. Elle y partagera la scène avec une autre femme de petite taille, Nancy Duguay, et le danseur de grande taille Marc Boivin. Le spectacle, conçu par Diane Leduc, dont le fils a un diagnostic de nanisme, s'inscrit dans le cadre de la série Corps Atypik. L'objectif? Bousculer la notion de normalité dans une discipline qui glorifie les corps parfaits.

Les amateurs de clown seront déçus. L'idée du spectacle est justement de brouiller les stéréotypes associés au nanisme. Valérie me dit avoir tout de même hésité avant d'y participer. «J'avais peur que l'on nous montre comme des bêtes de cirque. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire...»

Oui, j'avais l'impression de comprendre un peu ce qu'elle voulait dire. Car j'avais la même appréhension avant de la rencontrer. Peut-on parler de nanisme en évitant le «freak show» ? Peut-on le faire sans provoquer l'hilarité?

Finalement, les appréhensions de Valérie sont tombées. Les miennes aussi. J'en retiens surtout une chose: les clowns ne sont pas toujours ceux que l'on croit.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Valérie Tourangeau.