Docteur Sanon? «Non, je suis pas docteur!»

Wilson Sanon sourit timidement. Il a l'habitude qu'on le prenne pour un médecin. Il connaît les couloirs de l'hôpital Sainte-Justine par coeur. Il y a passé tant de temps au chevet de ses enfants que certains sont sûrs qu'il y travaille. Du temps à s'inquiéter entre deux berceaux. Du temps à espérer. Du temps à s'indigner aussi.

Wilson Sanon est président de l'Association d'anémie falciforme du Québec. Une association qu'il a fondée après que cette maladie du sang génétique eut emporté son fils aîné, Nicky.

Il n'avait que 4 ans. Il était allé à la garderie le jour. Le soir, il était fiévreux. Les médicaments habituels ne faisaient pas effet. Les antibiotiques, non plus. À l'aube, le père a couru à l'hôpital. L'infection était sévère. «Tout est allé très vite. On l'a amené aux soins intensifs. Il n'est jamais revenu. Dans le temps de le dire, mon garçon est parti.»

Dès lors, Wilson Sanon s'est dit qu'il devait faire quelque chose. «Il faut que la communauté à risque de cette maladie soit informée du danger d'avoir un enfant atteint d'anémie falciforme. Il faut que le gouvernement et nos décideurs soient plus sensibilisés à cette affligeante maladie.»

L'anémie falciforme affecte principalement les populations noires, mais aussi des gens originaires du bassin méditerranéen. Bien que méconnue, la maladie est plus fréquente que la fibrose kystique ou la dystrophie musculaire, par exemple. Elle se caractérise par une moins bonne oxygénation du sang et l'occlusion des vaisseaux sanguins. Cela peut entraîner de graves infections ou des crises de douleurs semblables à celles d'un accouchement. La maladie peut aussi s'accompagner d'une espérance de vie réduite.

Les données sur la prévalence de l'anémie falciforme au Québec demeurent à peu près inexistantes. En Grande-Bretagne, où on a mis sur pied un programme de dépistage néonatal universel, on parle d'un enfant sur 2000. Wilson Sanon se bat pour que Québec mette aussi en place un tel programme. L'Ontario l'a déjà fait. Ici, une étude sur la pertinence et les coûts d'une telle mesure a récemment été réalisée par l'Institut national de la santé publique du Québec. Au cabinet du ministre Yves Bolduc, on dit que la question est encore en cours d'analyse et que l'étude devrait être rendue publique sous peu. Chose certaine, Wilson Sanon, persuadé que Québec agirait plus vite si la maladie touchait davantage de Gagnon et de Tremblay, ne lâchera pas le morceau.

Après la mort de son fils, Wilson Sanon a continué à fréquenter l'hôpital comme s'il y travaillait. Car sa fille aînée, Priscille, est aussi atteinte d'une forme grave d'anémie falciforme. De 6 mois à 15 ans, elle était très souvent hospitalisée. À 11 ans, on lui a proposé une greffe de moelle osseuse. C'est Mical, sa petite soeur en pleine santé, qui a fait le don de moelle. Depuis, la vie de Priscille a changé du tout à tout, pour le mieux. À 19 ans, elle mène une vie normale, fait du sport, étudie au cégep en sciences et rêve de travailler dans le domaine de la santé. Son père parle d'elle avec amour et fierté. Et elle le lui rend bien. «Mon papa est quelqu'un de très courageux. C'est pas un lâcheur!»

En plus d'offrir du soutien aux familles aux prises avec l'anémie falciforme, Wilson Sanon tente de sensibiliser les communautés noires, qui donnent peu de sang, à l'importance de ce geste. De nombreux Haïtiens boudent les collectes de sang parce qu'ils sont encore marqués par la discrimination dont ils étaient victimes dans les années 80, explique-t-il. On les accusait alors injustement d'avoir ramené le sida au Québec. Ils étaient persona non grata dans les collectes de la Croix-Rouge. «Dans les médias, on parlait des 4H: homosexuels, Haïtiens, hémophiles, héroïnomanes.»

Certains attendent encore des excuses officielles. Sauf que la maladie, elle, n'attend pas. Un Blanc peut très bien donner son sang à un Noir et vice-versa. Mais pour les patients qui ont besoin de transfusions sanguines fréquentes, la compatibilité est meilleure lorsque le donneur et le receveur sont de la même origine. La pénurie de sang de donneurs noirs complique la vie de patients atteints d'anémie falciforme. Parfois, il faut se tourner vers les banques de sang étrangères pour trouver un donneur compatible.

Héma-Québec fait des efforts pour recruter davantage de donneurs des communautés noires. On se félicite du fait que, depuis 2009, plus de 1000 nouveaux donneurs ont été recrutés. Mais du travail reste encore à faire pour que la réserve de sang soit à l'image de la diversité de la population.

«Ça ne coûte rien de donner du sang!» dit Wilson Sanon, qui organise des collectes dans sa communauté depuis six ans. Sa fille Priscille est toujours la présidente d'honneur des collectes. «Pour le bien de nos enfants, il faut se débarrasser des vieilles rengaines qui nous empêchent d'avancer.»

Avancer. Pour Wilson Sanon, il n'y a pas d'autre façon de faire. «L'ordre des choses est renversé quand on est obligé d'emmener au cimetière un enfant. Avec le temps, on regarde en avant. Si on peut continuer à combattre pour que d'autres aient une qualité de vie meilleure, tant mieux.»

Pour joindre notre chroniqueuse: relkouri@lapresse.ca