Ceux qui les craignent se grattent dès qu'on en parle. Ceux qui en ont eu se taisent et ne dorment plus. Au-delà des anecdotes des uns et de l'hypocondrie des autres, le retour en force de la punaise de lit à Montréal exige que l'on s'en occupe rapidement. Ce que Michael Applebaum, responsable de l'habitation au comité exécutif de la Ville de Montréal, ne semble pas prêt à faire.

M. Applebaum rejette d'un revers de main la possibilité de mettre sur pied un registre qui permettrait de cartographier la progression de l'insecte et d'en limiter la propagation. Une mesure que réclament plusieurs experts et qui est déjà en place à New York, où l'on prend le problème très au sérieux.

Pourquoi est-il contre? Parce qu'il estime que la Ville a déjà en main toute l'information nécessaire et qu'elle sait déjà tout ce qu'elle doit savoir sur les punaises. «Il y a déjà des données!» Pourtant, lorsqu'on lui demande de nous fournir des données sur la progression de l'épidémie à Montréal, il est incapable de le faire.

Pour justifier son opposition à un éventuel registre, M. Applebaum dit craindre que cela ne contribue à la mise au ban des gens dont les logements sont infestés ou que des exterminateurs en profitent pour cogner à toutes les portes d'un secteur infesté afin d'y vendre leurs services. Ces craintes pourraient paraître légitimes si elles n'avaient pas cet air de faux-fuyant. Car le registre pourrait très bien être un outil utilisé à l'interne seulement.

Personne ne demande de mettre sur pied un outil qui encouragerait la délation de crimes par punaises interposées. D'ailleurs, il existe déjà sur le web une telle chose (bedbugregistry.com) qui permet de savoir si quelqu'un a déjà vu des punaises dans l'hôtel où vous songez à vous rendre à New York ou dans le logement que vous lorgnez à Montréal. Le hic, c'est que les renseignements qui y figurent ne sont pas vérifiés et que les auteurs peuvent demeurer anonymes. N'importe qui peut donc y écrire n'importe quoi. Les gestionnaires du site le reconnaissent eux-mêmes: certains «rapports d'inspection» ont été rédigés par des locataires malicieux, des concurrents malveillants ou des hypocondriaques. Tout ce qui y est écrit doit donc être pris avec un grain de sel.

Le registre officiel de la punaise auquel on pourrait songer à Montréal ressemblerait davantage à une base de données utilisée à l'interne pour suivre l'évolution du problème et agir plus efficacement. «Quand tu as un registre, si le problème n'est pas réglé, c'est ta responsabilité. Mais quand on ne tient pas de registre, on ne tient pas de comptes», dit Suzanne Décarie, conseillère de Vision Montréal, qui a soulevé la question au conseil municipal mardi soir en brandissant un bocal qui contenait une punaise. Elle croit avec raison que Montréal devrait sans attendre s'inspirer des recommandations émises le printemps dernier par un comité expert new-yorkais.

Son plaidoyer n'a pas ému Michael Applebaum, qui juge malgré tout que les autorités montréalaises ont fait leurs devoirs en matière de punaises de lit. Dans chaque arrondissement, des inspecteurs sont formés pour les combattre, dit-il. Quant aux citoyens, qu'ils soient propriétaires ou locataires, on leur a remis des dépliants leur expliquant les us et coutumes de l'insecte et la marche à suivre en cas d'infestation.

Les dépliants en question, produits par la Ville, l'Office municipal d'habitation et l'Agence de santé et de services sociaux, sont bien faits. Vous pouvez les télécharger sur le site ville.montreal.qc.ca. Mais un fait demeure: un dépliant n'est pas un plan.

Qu'en dit la Direction de la santé publique? Elle ne s'est pas encore prononcée sur la nécessité de mettre sur un pied un registre. Une telle mesure serait-elle utile? «C'est possible», dit l'épidémiologiste Norman King, qui précise que la Direction de la santé publique observe avec attention ce qui se fait à New York. Il faudra voir dans quelques mois si le registre qui y a été mis en place a réellement permis de limiter la propagation de l'épidémie.

Exagère-t-on le problème? Si on compare une épidémie de punaises à une épidémie de choléra, oui, sans doute. La punaise peut rendre fou, mais elle ne tue pas. Elle n'est pas non plus un vecteur de maladies. Mais cela ne signifie pas qu'elle soit sans danger pour autant. La punaise pique, ce qui n'est pas son pire défaut. Elle pousse aussi parfois des gens à utiliser des pesticides de façon inadéquate. Et, effet non négligeable, elle compromet la santé mentale de ceux qui partagent malgré eux leur lit avec elle. La Direction de la santé publique est justement en train de mener une étude sur l'impact de la punaise sur la santé mentale des Montréalais. Troubles du sommeil, stress, isolement, anxiété... Comme diraient les Français: «Punaise!»