Elle s'appelle Diane. J'ai promis de ne pas écrire son nom de famille pour ne pas trop la faire rougir. Petit bout de femme de 60 ans. Secrétaire à la retraite. Motocycliste à ses heures. Citoyenne de Repentigny. Missionnaire sans religion. Adorable.

Diane a des yeux verts perçants. Et un coeur si grand que j'ai du mal à le comprimer dans une seule petite chronique.

Il y a deux ans, j'ai raconté l'histoire tragique de Soki, une réfugiée congolaise morte des suites d'une fausse couche ici même à Montréal. Elle laissait dans le deuil son mari, Talent, et leurs six enfants. Un mois après avoir signé cette chronique, je recevais un court message de Diane. «J'aimerais beaucoup les aider.» Je lui ai envoyé les coordonnées de la famille ne me doutant de rien.

Diane est ainsi entrée dans la vie de Talent et de sa famille un jour gris de novembre 2008. Elle y est toujours deux ans plus tard. Elle est devenue «maman Diane» pour les six enfants qui venaient de perdre leur maman. Elle a monté son propre système de parrainage pour cette famille dans le besoin: une ou deux fois par mois, mettant à contribution son groupe d'amies, elle fait une grosse épicerie pour la famille, lui prépare des plats, veille à ce que tous soient habillés pour l'hiver, trouve des bottes pour la grand-mère tout juste débarquée d'Afrique en boubou, offre des sorties aux enfants...

Elle a organisé pour eux la rentrée scolaire, a tenu tête à Hydro-Québec pour ne pas qu'on leur coupe l'électricité. Elle mobilise tous ceux qui veulent aider, mais ne savent pas trop comment. Elle sonne, elle donne, elle s'en va. Pas question de s'imposer. «Diane, tu donnes tout, tu prends rien!» lui dit Talent qui a du mal à lui faire accepter un simple verre d'eau.

Pour Talent, activiste courageux qui a survécu à la torture et à des tentatives d'assassinat, Diane fait partie de sa liste d'anges gardiens québécois qui lui donnent le sentiment qu'il a vraiment une famille ici. Une âme généreuse qui n'aime pas les projecteurs.

Ses amies la voient toujours arriver avec de nouvelles demandes pour ses protégés. «Bon, les filles, j'ai besoin de bottes. Des huit. Montre-moi donc tes bottes, toi? Ça ferait peut-être à ma petite grand-mère?» Elle voulait un Game Boy pour un des garçons. «Les filles, trouvez-moi un Game Boy, c'est sûr que quelqu'un en a un qui ne sert plus.» Elles ont trouvé.

Efficace, elle ratisse six épiceries pour dénicher les meilleures offres. Elle a acheté un congélateur juste pour ça. Elle appelle Jeanne-d'Arc, l'aînée, pour s'assurer de ne donner que ce qui serait vraiment utile. «Bon, qu'est-ce qu'il te manque?» En bonne gestionnaire, elle note tout ce qu'elle achète et rend des comptes à ses donateurs.

Talent se rappelle ce dimanche où il était à l'épicerie. Il voulait acheter un sac d'oranges. Sa carte bancaire ne fonctionnait plus. Il lui manquait 6$. Le soir même, Diane a téléphoné. «Talent, tu es chez toi? Je vais passer t'apporter des choses.» Elle est arrivée avec son mari Richard, les bras chargés de sacs. Dont un sac d'oranges. Il a proposé de les aider au moins à sortir les sacs. «Non, non, vous allez prendre froid.»

Pourquoi vous faites tout ça, Diane? Elle me dit qu'elle le fait avant tout pour elle. Elle a perdu deux amies très proches en 2007. Des vraies amies, qu'elle connaissait depuis 25 ans. L'une est morte d'une crise cardiaque devant elle. L'autre, d'un cancer foudroyant à 54 ans. Elle se sentait orpheline elle aussi. «J'avais besoin de me trouver une cause. Ça me donne du bonheur.»

Diane a ainsi fait une promesse à Jeanne-D'Arc, qui a maintenant 19 ans, défaite après la mort de Soki. «Toutes mes amies, c'est des mamans. On va te gâter.» Elle l'appelle. Elle prend de ses nouvelles. Elle lui demande de l'appeler si elle a besoin de quoi que ce soit. «Elle est toujours là pour moi», dit Jeanne-d'Arc, reconnaissante.

Avant de connaître Talent et sa famille, Diane n'avait jamais rencontré d'Africains. À Repentigny, on en croise peu. Mais elle avait déjà une longue expérience de «marraine». Dans les années 80, elle avait parrainé une famille de réfugiés laotiens. Elle est demeurée à leurs côtés pendant huit ans avant de les perdre de vue.

Aujourd'hui, elle parle des enfants de Talent et de Soki avec une lueur dans les yeux, comme si c'était les siens. Eusèbe, son «pauvre ti-pit», qui fait de l'arthrite et qu'elle aimerait tant soulager. Valérie, la «poupoune», qui n'avait que 3 ans quand sa mère est morte et a pleuré toutes les nuits pendant quatre mois. Et Neige. Et Médard. Et Magalie. «J'aime assez ces enfants!»

Elle ne veut ni fleurs ni reconnaissance. Sa photo dans le journal, n'en parlons pas. «Je suis heureuse comme ça. Je suis née heureuse.»

Elle est allergique à toute religion. «Ma religion, c'est d'aider. Aider les autres, c'est comme respirer. Je n'y vois rien d'extraordinaire», insiste-t-elle, sans fausse modestie, en parlant de tous ces «coeurs sur deux pattes» qui l'entourent.

Elle a toujours de nouveaux projets. Elle y pense quand elle est en moto avec son mari, qui la suit depuis ses 16 ans. Ils ont déjà fait Percé-Montréal d'un trait. Vous imaginez le nombre de projets qu'elle a pu élaborer durant le trajet.

En ce moment, elle veut faire quelque chose pour Haïti, en collaboration avec l'Université du troisième âge de Repentigny qu'elle fréquente, et la Fondation Paul Gérin-Lajoie. Elle cherche à recueillir des toiles de peintres professionnels et amateurs. Les toiles seront mises à l'encan et les fonds amassés permettront de financer un projet de reconstruction d'écoles haïtiennes1. «Les filles, vous allez me trouver des toiles...»

«Je ne fais rien d'extraordinaire», répète Diane. «Ce n'est rien de spécial.»

Rien de spécial? «Diane, elle fait la Croix-Rouge et l'Unicef sous l'ombre», dit Talent. Rien que ça.

1. Les intéressés peuvent écrire à: dianedonnezauxsuivants@hotmail.fr

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca