Il faut mettre les «faux réfugiés» à la porte. «Le Canada doit revoir son système d'accueil, il y a trop de faux réfugiés, d'illégaux et de criminels.»

Ces déclarations ressemblent à du «copier-coller» du discours du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, qui a présenté la semaine dernière un projet de loi controversé visant à serrer la vis aux réfugiés clandestins et à leurs passeurs. Mais elles sont tirées de discours du Reform Party du début des années 90, un parti auquel appartenait un certain Stephen Harper.

La parenté entre les deux discours m'a frappée à la lecture d'un essai fort éclairant du politologue Philippe Bourbeau, qui cherche à expliquer comment la question de l'immigration est de plus en plus perçue comme une question de sécurité(1), et comment ces enjeux s'articulent de façons très différentes au Canada et en France.

En France, la propension à lier la question de l'immigration à celle de la sécurité est très forte, tant dans les discours des politiciens que dans l'opinion publique. Au Canada, elle reste, de façon générale, beaucoup plus timide. On ne trouve pas ici de parti clairement anti-immigration comme le Front national de Jean-Marie Le Pen.

En fait, depuis 1945, tous les partis politiques canadiens se sont montrés en faveur d'une politique d'immigration basée sur la capacité du pays d'intégrer des immigrants et sur la nécessité de le faire, rappelle Philippe Bourbeau.

Toutefois, on observe un changement important au début des années 90, au moment où le nombre de réfugiés dans le monde explose. En 1992, il sont 18 millions, presque deux fois plus qu'en 1980. L'image «d'invasion» est alors évoquée. Et la nécessité de se protéger contre la vague est brandie par certains.

Dans l'histoire politique récente, la tendance à voir la question des migrations à travers la lunette de la sécurité prend racine au début des années 90. (Ce n'est donc pas un effet du 11 septembre, même si le 11 septembre marque un durcissement du ton.)

Après des années de silence du Parti progressiste-conservateur sur les enjeux de sécurité et d'immigration, le Reform Party est venu changer la donne à ce moment précis, rappelle le politologue. Jusque-là, les conservateurs avaient toujours mis l'accent sur les avantages économiques comme premier critère de sélection des immigrants. Les réformistes aussi, mais en ajoutant une nouvelle façon de formuler les choses. «C'est là que, pour la première fois, on entend parler de migrations de masse et des problèmes entre les «vrais» réfugiés et les «illégaux». Tout le débat part de là», souligne Philippe Bourbeau.

«Vrais» réfugiés, «faux» réfugiés. Ce discours du Reform Party d'il y a 20 ans est donc repris aujourd'hui par les conservateurs. «Il y a un retour très clair à la même dynamique», observe le politologue. On parle de la menace que posent ces réfugiés qui arrivent par bateau, «en masse». On reprend la rhétorique: «Il faut contrôler, sinon on va se faire envahir.»

La différence, c'est que ce discours ne peut plus s'appuyer sur une réalité statistique. Le nombre de réfugiés dans le monde a baissé de moitié depuis 1990. La vague dont on parlait à l'époque n'existe plus. En 2008, il y avait environ 9 millions de réfugiés dans le monde, à peu près autant qu'en 1980.

Le contexte post-11 septembre et la nécessité de se protéger contre la menace terroriste servent bien sûr aujourd'hui à justifier le durcissement des lois sur les réfugiés. «Cela dit, il est toujours intéressant de rappeler qu'aucun des auteurs des attentats terroristes du 11 septembre n'était un réfugié», note le politologue.

Le discours sécuritaire ne s'appuie pas, on l'aura compris, sur la réalité, mais sur l'interprétation qu'on en fait. La proportion de réfugiés qui arrivent par la mer au Canada a beau être minime, on parle tout de même de «migration de masse». «Il faut quand même rappeler que 600 personnes sont arrivées par bateau, cette année. Or, le Canada accepte 23 000 réfugiés et 250 000 immigrants par année. Quand on parle de 600 personnes, on est loin de la vague», note Philippe Bourbeau.

L'arrivée du bateau est une chose. L'interprétation qu'on en fait en est une autre. En 1999, quand 600 boat people chinois s'approchaient des côtes de Vancouver, le ministre Lloyd Axworthy aurait très bien pu dire qu'il s'agissait d'une menace à la sécurité nationale. Il ne l'a pas fait. En 2010, quand 600 Tamouls du Sri Lanka arrivent, le ministre Vic Toews et le premier ministre Harper invoquent tout de suite d'importants problèmes de sécurité et promettent de resserrer les lois. Pourtant, la situation est à peu près la même.

Que l'on parle de 600 Chinois ou de 600 Tamouls, on est loin de la vague. Mais si on tient à y voir une vague...

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1. Philippe Bourbeau est boursier postdoctorant du CRSH au Centre d'études en politiques internationales de l'Université d'Ottawa. Son essai, The Securitization of Migration: A Study of Movement and Order, sera publié l'hiver prochain aux éditions Routledge.