En prenant connaissance hier du projet de loi du gouvernement Harper, qui entend serrer la vis aux migrants illégaux et aux passeurs, j'ai eu une pensée pour Mihaela.

Mihaela est une réfugiée roumaine que j'ai interviewée il y a quelques années. De ces entrevues qu'on n'oublie pas. Elle m'avait raconté comment elle était arrivée à Montréal par conteneur. Clandestins, elle et son amoureux, dont le nom figurait sur la liste noire de Ceaucescu. Ils n'avaient pas le choix de fuir.

Dès les premiers instants de la traversée, dans l'obscurité du conteneur, Mihaela avait senti qu'il manquait quelque chose: de l'oxygène. Son briquet ne s'allumait pas. Avec des tournevis, ses compagnons d'infortune et elle ont fait des trous dans la paroi. Ils ont survécu. Mais à leur arrivée, ils ont appris que les amis roumains qui avaient fait la traversée juste avant eux, dans un bateau qu'ils avaient failli prendre, n'avaient pas eu la même chance.

En prenant connaissance du projet de loi du gouvernement Harper, c'est cette image qui m'est revenue. Une femme cachée au fond d'un conteneur, en quête de liberté, qui perce avec un tournevis un petit trou pour pouvoir respirer. Un petit trou pour laisser passer l'espoir.

Dans le projet de loi du gouvernement Harper, l'image du réfugié clandestin n'est certainement pas celle de survivants courageux comme Mihaela. Elle s'apparente davantage à celle de criminels potentiels sans visage qui tentent d'abuser de la générosité du Canada en passant par la «porte arrière», comme l'a dit hier le gouvernement. Quant aux passeurs, ils sont dépeints comme des escrocs qui menacent la sécurité du pays (et celle des réfugiés, accessoirement).

Or, comme l'a souligné récemment dans nos pages le professeur de droit international François Crépeau, les passeurs sont souvent le dernier recours lorsque toutes les autres portes sont fermées. Ce n'est pas la porte arrière, mais bien la seule porte entrouverte. «Historiquement, de nombreuses vies furent sauvées par des passeurs: juifs allemands, républicains espagnols, Indochinois, résistants de toutes les dictatures...»

Une menace à la sécurité que ces réfugiés clandestins? Le gouvernement Harper, dans son grand délire sécuritaire, laisse croire à la population que oui. Dans un (autre) élan de démagogie, il met dans le même bateau les réfugiés dits illégaux, les criminels et les terroristes. Et ce gros bateau qu'il se monte à lui-même justifie, à ses yeux, des mesures répressives qui violent les droits des réfugiés. Pour des questions de sécurité? Non. Pour des raisons avant tout politiques, voire électoralistes. Car, dans les faits, la très grande majorité des réfugiés dits illégaux ne constituent une menace pour personne. Faut-il rappeler que le Canada a déjà accueilli des bateaux de réfugiés dans le passé sans que la menace à la sécurité soit brandie?

Selon le droit international, les réfugiés qui arrivent d'un pays où leur vie ou leur liberté était menacée ne doivent pas être punis pour entrée «irrégulière». Mais pour le gouvernement Harper, le respect des droits des réfugiés semble être un détail. La distinction qu'il établit entre les «bons» réfugiés (ceux qui travaillent fort et respectent la loi) et les «mauvais» réfugiés (ces «illégaux» qui voudraient passer devant les autres) est une fausse distinction. Pense-t-on vraiment que tous ces gens qui fuient un pays au péril de leur vie ont le loisir de remplir tranquillement un formulaire web et d'attendre qu'on les appelle? Pense-t-on vraiment qu'ils montent dans un bateau clandestin le coeur léger comme s'ils allaient à la plage?

«Ne faites pas ça!» a déclaré de façon simpliste hier le ministre fédéral de l'Immigration, Jason Kenney, aux gens qui seraient tentés de faire appel à des passeurs. Ne faites pas ça, dit-il, comme s'il s'agissait ici d'acheter un forfait «La croisière s'amuse» dans les Antilles. Comme si tous ces clandestins n'étaient que de simples vacanciers se rendant à l'agence de voyages du désespoir. «Vous voulez le forfait en conteneur, tournevis inclus, ou la croisière au Canada à vos risques et périls?»

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca