Comment un élève qui obtient 30% lors de la «correction école» de son examen de français peut-il se retrouver avec une note de 85% lorsque la correction du même examen est faite par le Ministère?

Question troublante, soulevée par une enseignante à la suite de ma chronique sur le nouvel examen de français de cinquième secondaire. J'y déplorais le fait que les nouveaux critères de correction du ministère de l'Éducation rendent l'examen encore plus facile qu'auparavant. Je soulignais aussi que ce changement qui survient au moment même où les premiers enfants de la réforme doivent le subir rend impossible la comparaison avec les cohortes précédentes. Comme si on voulait s'assurer d'éliminer toute possibilité d'obtenir l'heure juste.

 

En vertu de la nouvelle grille de correction, serait-il donc possible qu'un élève qui mérite 30% en français selon son école obtienne 85% d'un coup de baguette magique du Ministère? Une enseignante me dit avoir vu passer ce genre d'aberration lorsque le Ministère a fait passer un examen pilote dans certaines écoles ciblées l'année dernière. On comprend que la correction d'un examen de français peut bien sûr comporter une marge d'erreur. Mais il y a des limites. Au-delà d'un certain seuil, il y a de bonnes raisons de croire que l'on n'est plus dans la marge d'erreur, mais bien dans le maquillage outrancier de la réalité.

Je me serais attendue à ce que l'on me dise au Ministère que cet écart ahurissant n'est qu'une erreur. Mais non! «Le cas cité pourrait se rapporter à une expérimentation de l'épreuve unique menée dans des classes de la région de Montréal au cours de l'année scolaire 2008-2009, m'explique-t-on. Si tel est le cas, une expérimentation réalisée, avant même que la grille d'évaluation ne soit finalisée et le Guide de correction rédigé, a permis au Ministère d'ajuster les instruments développés de façon à assurer le maintien des exigences à l'égard des élèves.»

Depuis cette expérimentation, la grille a été améliorée, dit-on. Mais le Ministère ne nie pas qu'il puisse y avoir un écart entre sa correction et celle de l'école. «Il est normal d'observer des différences entre une correction ministérielle et la correction d'un enseignant (...). Dans un contexte de correction centralisée, pour assurer l'évaluation la plus juste et uniforme possible des 65 000 textes d'élèves, des directives détaillées sont fournies aux quelque 150 correcteurs ministériels dans un Guide de correction.»

Une élève de cinquième secondaire, en désaccord avec moi, m'écrit: «Je tient (sic) à vous dire que je veux bien croire que peut-être l'examen de français secondaire 5 est plus facile que les années précédentes je ne les ai jamais effectuer (sic) et je ne peut (sic) donc pas comparer.» J'ai conseillé à l'élève de se relire avant d'envoyer des courriels. (Plus d'une faute par ligne, cela sert un peu mal son propos dans les circonstances.)

Un autre, plus convaincant, qui a trouvé mon texte «offusquant» renchérit en plaidant que j'ai tout faux quand je dis que le mot «argumentation» n'est plus qu'une note de bas de page dans la grille d'évaluation. «On nous a avant tout appris à écrire un texte argumentatif auquel on mêle une opinion personnelle. On nous a toujours dit que même une opinion personnelle se doit d'être fondée sur une base argumentative solide.»

Il me semble que ces deux élèves confondent bien des choses. En critiquant cet examen et ses critères de correction de plus en plus laxistes, je ne remets en question ni le travail des professeurs ni même celui des élèves. D'ailleurs, en dépit de tout ce que l'on reproche à notre système d'éducation, on oublie que les élèves québécois font quand même bonne figure en lecture selon l'étude du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves, qui permet de comparer les élèves de plus de 60 pays). Bien que leurs résultats aient baissé depuis 2000, les Québécois sont encore loin devant les Français, que l'on cite pourtant souvent comme des exemples à suivre. Il faudra voir en décembre, à l'occasion du dévoilement des résultats de 2009, si cette tendance se maintient.

Tout cela pour dire qu'il se trouve, je ne le nie pas, de très bons élèves qui maîtrisent bien la langue. Il se trouve aussi d'excellents professeurs de français qui connaissent la différence entre un argument et une opinion et qui sont capables de l'enseigner à leurs élèves. Mais ce n'est pas de cela qu'il était question dans ma chronique. Je parlais du nouvel examen, censé sanctionner une certaine maîtrise de la langue. Je parlais de sa grille d'évaluation qui, oui, c'est un fait, relègue le mot «argumentation» à une note de bas de page. Je dénonçais surtout la culture qui sous-tend tout cela.

Les correcteurs vous le diront. La grille d'évaluation était déjà bidon, puisqu'elle permettait, d'un coup de baguette magique ministérielle, de transformer n'importe quelle bêtise en argument valable. La nouvelle grille ne fait qu'enfoncer le clou en brouillant la distinction fondamentale entre une opinion et un argument. Si l'élève sait faire la différence, tant mieux. Mais s'il ne le sait pas, il ne faudra pas compter sur le Ministère, trop occupé à maquiller la réalité, pour exiger qu'il le sache. Cet examen, ne nous leurrons pas, ne sanctionne pas la maîtrise de la langue française. Il sanctionne avant tout une culture laxiste qui se surpasse dans l'art de déguiser des échecs en succès.