«Ya salam ala Halak!»

Il faut entendre ma grand-mère prononcer «Halak». Passé à la moulinette de son accent syrien, le nom slovaque du gardien étoile du Canadien devient «Hhhaalaa». Ce qui en arabe veut dire coiffeur. Un coiffeur qui sait décoiffer la ville et dont la Coupe ne peut qu'avoir un grand C, ça va de soi.

«Il est merveilleux, ce Hhhaalaa.» Enrobés de son accent, le H et le a s'allongent. Le k disparaît dans la brume. Il ne reste plus que cette inspiration exaltée d'un coureur qui retrouve son second souffle. À l'image de cette équipe qui, de façon inespérée, rend Montréal fiévreux.

Ma grand-mère vient tout juste d'avoir 89 ans. Une coureuse de fond à sa façon. De plus en plus fragile, mais l'esprit toujours vif. Je lui ai souhaité, comme chaque année à la même, date d'atteindre les 100 ans. Ces 100 ans qui me semblaient autrefois si lointains, comme trois points de suspension. Et puis, finalement, pas tant que ça.

Cent ans? Polie avec la vie, superstitieuse, peut-être, ma grand-mère n'ose pas en réclamer autant. « Un jour à la fois, ma fille. Un jour à la fois.»

Un jour à la fois, un match à la fois. Mais le Canadien que l'on croyait presque mort à 101 ans ne vient-il pas de montrer que même l'inespéré n'est pas sans espoir?

Avec Halak, tout est possible, croit ma grand-mère. Nous avons eu notre discussion rituelle des séries. Il y avait tout d'un coup de la lumière dans sa voix. Et une pluie multilingue de superlatifs. «Ya salam ala Halak! Halak, prrrimo! Quel goalerrr!»

Elle n'est pas de ces grands-mamans gâteau portées sur le compliment à l'eau de rose. En général, elle en est plutôt avare. Du type autoritaire, sévère, exigeante. Main de velours dans une mitaine de fer. Surtout avec son équipe préférée. «Après 1993, le Canadien n'a plus jamais remporté la Coupe. Il devrait avoir honte!» dit-elle, prête à sortir le fouet.

Elle est née une dizaine d'années après le Canadien, dans un pays sans hockey. Mais dans son univers, le Canadien est vraiment né en 1967, année où elle a déposé ses valises dans ce pays. Elle a appris l'hiver, elle a appris le français. Mais j'ai toujours pensé que c'est d'abord par le hockey qu'elle est devenue montréalaise. Comme bien des gens avant elle. Comme bien d'autres encore après elle que l'on imagine vivre dans une tout autre dimension. C'est grâce au hockey qu'ils se tirent une bûche dans le «Nous». Je ne connais rien d'aussi rassembleur. Près de chez moi, l'autre jour, j'ai surpris un juif hassidique et son voisin causer hockey avec passion.

Si ma grand-mère est aujourd'hui aussi sévère avec le Canadien, c'est d'abord par nostalgie. Elle se rappelle les belles années. L'époque de Béliveau, Cournoyer, Lafleur, Savard, Dryden. Elle se souvient de ces huit Coupes Stanley gagnées entre 1967 et 1979. «Ils ont mis le hockey au monde! C'était eux les meilleurs!»

Aujourd'hui, il y a Halak qui ravive tous ses espoirs. Mais on est loin de la belle époque. «Je ne crois pas que l'on va se rendre à la Coupe. On verra bien.»

Je lui ai promis de passer la voir bientôt. Elle m'a ordonné de ne pas lui amener de cadeau, sous peine de sanctions. «Je n'ai besoin de rien. Les chocolats que tu m'as offerts l'an dernier sont encore dans le placard. J'attends une occasion pour les sortir. Je n'ai besoin de rien, t'as compris?»

Besoin de rien, j'ai compris. Halak son coiffeur lui suffit.

Photo: André Pichette, La Presse

Jaroslav Halak