Les résultats des cégépiens à l'épreuve uniforme de français au collégial sont inquiétants. Mais ce qui l'est davantage, c'est le taux de réussite gonflé artificiellement, masquant de graves lacunes.

Ces lacunes sont évidentes lorsque l'on épluche les résultats détaillés de l'épreuve de français 2008-2009 du Ministère. Comment expliquer que 83% des élèves aient officiellement réussi leur examen de français, alors que près de 29% d'entre eux ont échoué à la portion «orthographe» de l'examen (et ce, même s'ils ont droit à leur dictionnaire et à leur grammaire)? Comment expliquer le décalage ahurissant entre la très bonne performance des élèves quand il s'agit de critères autres que la langue (compréhension, qualité de l'argumentation...) et leurs piètres résultats dès qu'on touche au code linguistique? Comment autant d'élèves peuvent-ils avoir d'excellents arguments exprimés dans une langue truffée d'erreurs? Et comment se fait-il encore que le taux d'échec à cette épreuve uniforme ne soit que de 17% alors qu'il était de plus de 40% dans les années 80, lorsque l'examen était imposé par les universités?

 

Comment? Grâce à une bonne dose d'aveuglement volontaire. Plutôt que d'affronter la réalité, on la maquille. On assouplit les critères. On nie le problème, qui ne fait que s'amplifier avec le temps. Et on couronne le tout de diplômes au rabais. C'est la consécration de la culture de la réussite bidon.

Pour avoir travaillé comme correctrice d'examens de français au ministère de l'Éducation pendant mes études, je sais que ce laxisme reflète les dérives d'une culture bien implantée dans le système. Le correcteur a intérêt à être peu sévère, sinon il sera lui-même corrigé. Et comme il ne peut faire semblant que les fautes d'orthographe ou de syntaxe n'existent pas, on lui suggère d'être plus généreux dans l'évaluation du fond. Ainsi, si le taux de réussite est si élevé lorsque l'on évalue la qualité de l'argumentation, c'est tout simplement parce que les exigences sont très faibles. Navrant, mais vrai.

Il y a deux ans, quand un document de travail soumis au ministère de l'Éducation avait suggéré d'adopter une approche «holistique» et de cesser de compter le nombre de fautes à l'épreuve de français du collégial, la ministre Michelle Courchesne avait vivement réagi en disant que ça n'avait aucun sens. Cela dit, même sans approche holistique, bien des observateurs du milieu de l'éducation n'hésitent pas à critiquer les résultats bidon de cette épreuve.

Qu'en pensez-vous, Mme Courchesne? La réussite bidon érigée en système, non merci, me dit-elle. «C'est une de mes préoccupations. Je ne veux pas de ça!»

La ministre Courchesne dit travailler à la préparation d'un plan d'action qui permettra d'améliorer la maîtrise de la langue française au collégial. Elle veut entre autres mettre à jour le contenu des cours obligatoires de français. Elle souhaite que la qualité de la langue soit sanctionnée dans tous les cours où elle est pertinente (et non seulement dans les cours de français). Et dès l'automne 2010, il y aura de nouvelles exigences en matière de français écrit, promet-elle.

Il faut donc redresser la barre le plus vite possible. Le problème n'est pas propre au niveau collégial. Il se transmet du primaire au secondaire, puis au cégep et à l'université où des professeurs, un peu découragés, accueillent des étudiants qui ont passé 13 ans sur les bancs d'école sans apprendre à écrire. Ça, la ministre le sait très bien. Elle trouve inacceptable qu'à la fin de ses études au cégep, un élève puisse réussir son examen tout en commettant jusqu'à 30 fautes. Elle admet que les critères d'évaluation ne sont pas assez sévères. «Il n'est pas exclu de revoir l'examen», dit-elle. Du même souffle, elle ajoute, avec une bonne dose de lucidité: «Mais je ne peux pas juste faire couler les étudiants et les perdre.» Il faut aussi s'assurer d'avoir les ressources pour les soutenir. S'assurer d'avoir un seuil de réussite socialement acceptable.

On comprendra que même si la ministre ne veut pas se contenter de réussite bidon, le problème est si profond qu'elle est un peu coincée. Hausser les exigences peut être un pari risqué si cela pousse des jeunes à abandonner leurs études. Tolérer le faible niveau d'exigences actuel est un pari tout aussi risqué permettant d'envoyer à l'université des diplômés qui ne savent pas écrire. Entre les deux, la marge de manoeuvre est mince. Redresser la barre ne suffit pas. Il faudra aussi se faire funambule.