«C'est une humiliation pour nous tous.»

L'homme qui parle ainsi est Luc Ferrandez, fraîchement élu maire du Plateau-Mont-Royal sous la bannière de Projet Montréal. Un novice en politique municipale qui, si la tendance se maintient, pourrait aller loin.

Quand Luc Ferrandez parle d'humiliation, il ne parle pas de l'humiliation d'avoir été élu haut la main, lui qui n'avait pourtant ni les moyens ni la notoriété de son opposant-vedette d'Union Montréal, Michel Labrecque - de cela, il est bien fier. Quand il parle d'humiliation, il parle bien sûr du scandale, après tous ces scandales, d'avoir aux commandes de l'hôtel de ville ce même maire qui dit n'avoir rien vu.

 

Dans la République indépendante du Plateau, le message envoyé à l'administration Tremblay ne pouvait être plus clair. C'est le seul arrondissement montréalais où la jeune équipe de Projet Montréal, portée par un projet environnementaliste et humaniste, a fait élire tous ses candidats.

L'exception qui confirme la règle? Ou la petite brèche à travers laquelle poindra la lumière? «Le Plateau a souvent été précurseur des changements à venir», croit Alex Norris, ex-reporter de talent, élu conseiller municipal dans le district du Mile-End. Le journaliste d'enquête en lui compte bien utiliser ses connaissances pour tenter à sa façon d'éradiquer la corruption de l'hôtel de ville. Il trouve scandaleux que le gouvernement Charest refuse de déclencher une enquête publique. «Ça me laisse l'impression qu'ils ont quelque chose à cacher.» Et s'il y a quelque chose de caché, on peut compter sur Alex Norris pour tenter de le trouver. «Je ne peux penser à une meilleure personne à envoyer à l'hôtel de ville», a dit à son sujet le député du NPD Thomas Mulcair.

Si Luc Ferrandez a douté jusqu'au dernier moment de sa victoire, la candidate Josée Duplessis était beaucoup plus optimiste, elle qui a quitté Union Montréal pour se joindre à l'équipe de Richard Bergeron. Même si les discours officiels de Michel Labrecque ressemblaient à ceux de Projet Montréal, Union Montréal ne répondait plus à ses valeurs, raconte-t-elle. De la même façon qu'il ne répondait plus à celles des citoyens. «Il n'y a pas juste la circulation dans la vie. L'enjeu, ici, c'est la lutte contre la pauvreté, le logement social...»

Autour de la table d'un café jouxtant le bureau d'arrondissement, j'étais curieuse de savoir ce que ces nouveaux élus pensaient malgré tout de la performance de Richard Bergeron. On l'a décrit comme le Ralph Nader de cette campagne - c'est-à-dire celui qui a permis, en divisant le vote, la réélection de Gérald Tremblay. On a dit que Projet Montréal devait se trouver un nouveau chef moins intransigeant. Et il y a eu ce détail qui tue. Dans un passage égaré d'un essai sur les Québécois au volant, publié en 2005, Bergeron penche vers certaines théories du complot à propos des événements du 11 septembre. Ce n'était qu'une hypothèse et il a fini par s'en excuser. Mais le mal était fait. Plusieurs - j'en suis - croient que ses propos controversés ont miné sa crédibilité et empêché Projet Montréal d'avoir la place qu'il méritait vraiment à l'hôtel de ville.

Alex Norris n'est évidemment pas d'accord avec moi. Il trouve que l'histoire du 11 septembre a été montée en épingle de façon injuste. Ce qui compte, plaide-t-il, c'est le jugement de Richard Bergeron en matière d'affaires municipales. «Il ne se présentait pas comme ministre des Affaires étrangères!»

Prenant aussi la défense de son chef, Luc Ferrandez est allé beaucoup plus loin, fustigeant les «médias médiocres». Selon lui, cette histoire qui a tant nui à son chef est devenue «le bulletin de vote des médias». Elle montre «combien ils sont affamés d'une information inutile et superficielle. Combien ils sont passés à côté du 1er novembre pour trop s'être intéressés au 11 septembre».

Information inutile et superficielle? À mon sens, non. Pour moi, il s'agit d'un détail qui révélait le manque de jugement de Richard Bergeron. Ou à tout le moins un manque de sens politique inquiétant, pour quelqu'un qui veut devenir maire de Montréal. «Mais il faudrait aussi poser des questions sur le jugement de Mme Harel et de M. Tremblay», me lance Alex Norris. «M. Tremblay appuie la décision de Luis Miranda d'aller prendre des vacances avec des entrepreneurs qui font affaire avec son arrondissement. Est-ce cela, du bon jugement? Est-ce que le fait que Mme Harel ait promis à Benoit Labonté la présidence de son comité exécutif, c'est ce qu'on appelle du bon jugement?»

Pas tout à fait, non. Là, on est bien d'accord. Sauf que le manque de jugement des autres ne nous en donne malheureusement pas davantage.

Alex Norris me parle des dangers de la privatisation à outrance, directement liée aux scandales de la SHDM et des compteurs d'eau. Richard Bergeron a été le seul à s'y opposer, dit-il. «Il avait raison là où ça comptait pour les contribuables montréalais. Et l'administration avait tort. Et Vision Montréal avait tort. C'est ce qui compte quand on parle du jugement d'un homme politique.»

C'est ce qui compte, peut-être. Mais pas assez pour empêcher Montréal d'avoir encore à sa tête un maire à la crédibilité entachée dont plus de 60% des électeurs ne voulaient pas.