«Un homme n'est jamais si grand que lorsqu'il est à genoux pour aider un enfant.»

C'est Pythagore qui le dit. L'image inspirante est citée en exergue du livre Tous responsables de nos enfants, coécrit par le Dr Gilles Julien et sa femme, l'avocate Hélène Sioui Trudel.

Le lancement avait lieu dans Hochelaga-Maisonneuve, hier midi. Un lancement simple et émouvant, où l'on a entre autres vu l'une des jeunes protégées du Dr Julien, devenue adolescente, participer avec grand sérieux à la lecture publique. Le Dr Julien la regardait avec fierté, comme si c'était sa propre fille. «Ce sont MES enfants, confiait-il, avec orgueil. C'est un gros, gros succès de les voir ici.»

 

Inconnu du grand public il y a à peine quelques années, longtemps vu comme un marginal dans le milieu de la santé, le Dr Julien a fini par s'imposer comme un pédiatre visionnaire qu'il valait la peine de suivre. Ceux qui l'ont vu à l'oeuvre avec les enfants embrassent sa mission et saluent son entêtement. Avec le temps, le pédiatre bohème a même su rallier des gens officiellement du camp adverse, ceux de la grande machine étatique qu'il a toujours critiquée. Il est amusant de savoir, par exemple, que la directrice des communications de sa fondation, Caroline Richard, travaillait autrefois pour un certain ministre Couillard.

Père de la pédiatrie sociale, le Dr Julien a mis en place dans Hochelaga et dans Côte-des-Neiges des centres devenus des références pour ceux qui ont à coeur le bien-être des enfants de milieux défavorisés. Quant à Hélène Sioui Trudel, elle s'est jointe aux centres de pédiatrie sociale en 2006 pour contribuer à la mise en oeuvre de la Convention relative aux droits de l'enfant.

Tous responsables de nos enfants (Bayard Canada) est un appel à l'action, écrit à quatre mains, où la rigueur de l'avocate vient rejoindre le rêve du pédiatre. Médiatrice, Me Sioui Trudel a notamment travaillé à la mise en oeuvre de ce qu'elle appelle le «cercle de l'enfant», une pratique s'inspirant de la tradition autochtone, qui consiste à redonner du pouvoir aux familles, de les faire participer à la prise de décision.

L'idée, au coeur du projet de pédiatrie sociale, est dans le fond aussi simple que logique. Il s'agit de ne laisser tomber aucun enfant «entre deux chaises». Il s'agit de réunir un «village» autour de chacun, de s'assurer que le nid familial et l'entourage soient mobilisés pour le bien-être de l'enfant.

Le principe tout simple en apparence reste difficile à appliquer en raison entre autres de la bureaucratisation excessive de l'appareil étatique. Résultat: l'enfant en difficulté est souvent otage de systèmes aussi fragmentés qu'incohérents. Les meilleures intentions du monde ne suffisent pas. Les interventions restent parcellaires et même peu efficaces à certains égards. «Souvent, les services sont dispensés trop tard, loin des principaux intéressés, par des spécialistes qui ne considèrent qu'un aspect du problème et qui manquent de temps ou de volonté pour travailler ensemble et avec le réseau familial à dresser un plan d'action. C'est l'une des constantes des systèmes qui veulent trop bien faire, mais passent à côté de l'essentiel», écrivent le Dr Julien et Me Sioui Trudel.

Officiellement, le système agit dans le «meilleur intérêt de l'enfant». Dans les faits, la réalité est tout autre. Comment se fait-il que les droits de tant d'enfants continuent à être bafoués dans un Québec dit «avant-gardiste» et dans un Canada qui promettait en 2002 d'être «digne de ses enfants» ? demandait hier Me Sioui Trudel. «C'est pourtant la triste réalité que nous découvrons, chaque jour, avec les enfants qui fréquentent les deux centres de pédiatrie sociale de Montréal. Ils ont pratiquement tous été victimes d'une forme d'abandon, de laisser-aller, de rejet ou d'exclusion, d'une violation pure et simple de leurs droits fondamentaux reconnus par la Convention relative aux droits de l'enfant», lit-on dans Tous responsables de nos enfants.

Malgré toutes les belles promesses et en dépit de toute notre bonne volonté, la réalité des enfants, surtout ceux issus de milieux défavorisés, n'a malheureusement pas beaucoup changé avec le temps. «Si on ne renverse pas la vapeur, on s'en va vers une catastrophe avec les enfants. Ce n'est pas être pessimiste de le dire. Des constats, des statistiques nous le disent», rappelait hier le Dr Julien.

Que faire? Interpeller l'État? Non, nous dit le Dr Julien. La priorité, c'est d'interpeller les communautés, vous, moi, le voisin. C'est le but premier de ce livre. Nous mobiliser dans un véritable pacte social pour l'enfance. À lire et à méditer.

rima.elkouri@lapresse.ca