Appelons-la Lola, appelons-le Éric, puisque c'est ainsi qu'on les appelle, sourire en coin, au palais de justice de Montréal.

Lola est belle, très belle. Et Éric est riche, très riche. Ils se sont aimés, ne se sont pas mariés et ont eu trois enfants. Puis vint la rupture. Et Lola réalise que son statut d'ex-conjointe de fait de milliardaire ne lui confère pas les droits et le portefeuille d'une ex-épouse de milliardaire. La voilà donc devant la Cour réclamant ce qu'elle estime être son dû: une pension alimentaire personnelle de 56 000$ par mois et 50 millions de dollars en plus.

«Oui, je suis privilégiée. Mais si je compare avec son style de vie, il y a un grand écart», faisait valoir Lola, toisant de ses yeux de biche les journalistes qui l'interrogeaient dans un couloir du palais de justice.

Le conte de cette Cendrillon jet-set déchue n'émeut personne et en fait même rigoler plusieurs - car Cendrillon n'est pas tout à fait ce que l'on pourrait appeler une chef de famille monoparentale démunie. Elle reçoit une pension de 35 000$ par mois pour ses enfants, possède une maison de 2,4 millions payée par son ex, sans compter les deux nounous, la cuisinière, le jardinier, le précepteur pour l'aide aux devoirs des enfants... Des enfants qui, se plaint-elle, en sont réduits à voyager en classe économique avec elle, alors qu'ils sont en jet privé avec leur père. Un hélicoptère avec ça? Oui, elle aimerait bien.

L'histoire de cette femme et de sa «misère» toute relative est d'un tragicomique divertissant. Mais la cause est ailleurs. Car sous le flafla et le potinage, sous le caviar et le linge de luxe lavé en public, émerge une question sociale très sérieuse.

La question qui importe ici est celle des conjoints de fait plus «ordinaires» qui, après une séparation, peuvent se retrouver dans une situation de vulnérabilité. S'ils vivent exactement comme des gens mariés et correspondent exactement à la définition d'époux donnée dans le Code civil, pourquoi n'auraient-ils pas exactement les mêmes droits?

«Mis à part que j'ai les deux pieds dedans, je trouve que c'est un débat très intéressant», reconnaissait hier «Éric», ce richissime homme d'affaires qui dit ne pas croire au mariage.

Il n'est pas le seul. Le mariage, on le sait, est tombé en quasi-désuétude au Québec. Plus du tiers des couples vivent en union de fait. La majorité des enfants naissent hors des liens du mariage. Le portrait type de la famille a ainsi changé du tout au tout au fil des ans. En 1950, seulement 3% des enfants naissaient hors mariage (et étaient à l'époque considérés «illégitimes»). En 1983, c'était un enfant sur cinq. Et aujourd'hui, c'est plus de trois enfants sur cinq.

Le portrait type de la famille a changé du tout au tout, disais-je. Mais dans les chaumières, qu'est-ce qui distingue vraiment les couples mariés et les couples en union de fait? Rien, sinon qu'ils ne sont pas protégés de la même façon par la loi. Une personne aura beau passer sa vie entière en union de fait, jamais elle n'obtiendra le statut légal d'une personne mariée à l'église ou au palais de justice. Jamais elle n'obtiendra les protections reconnues par le Code civil aux couples mariés comme le partage du patrimoine familial ou l'aide alimentaire entre conjoints. En cas de rupture, la femme (comme c'est encore souvent le cas) qui aura mis de côté sa carrière pour mieux s'occuper de la famille n'aura droit à aucune compensation. Pire encore, elle se retrouvera dans une situation de dépendance. En cas de décès du conjoint, elle n'aura aucune sécurité financière garantie.

C'est une question de libre choix, dira-t-on. Et tant pis pour ceux qui n'auront pas pris leur propre «garantie prolongée» en consultant leur avocat ou en se mariant. Le hic, c'est qu'à l'époque où la décision de ne pas se marier en était une féministe ou d'avant-garde, les couples qui choisissaient cette voie rebelle le faisaient de façon réfléchie, en toute conscience de cause. Mais ce qui était hier encore marginal est aujourd'hui un mode de vie répandu, un choix naturel souvent fait sans grande réflexion. Plus d'un million de Québécois vivent en union de fait. Et nombreux sont ceux qui croient à tort qu'ils ont les mêmes droits que les conjoints mariés. Ce n'est qu'au lendemain d'une rupture qu'ils réalisent que non. C'est leur problème, bien sûr. Mais quand ce problème guette une majorité de familles, n'y a-t-il pas lieu d'adapter la loi?

Nul n'est bien sûr censé ignorer la loi. Mais la loi peut-elle ignorer à ce point les changements survenus dans la société?

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca