Geste indigne de la part d'un élu, appel à la violence, manque de respect... Le lancer de soulier du député Amir Khadir suscite des huées ces jours-ci. Certains réclament des excuses. D'autres exigent une réprimande officielle de l'Assemblée nationale, rappelant que ce genre de choses ne se fait pas ici. Personne n'a encore suggéré de renvoyer le député de Mercier dans son pays, mais on sent que ça ne saurait tarder.

Revenons d'abord aux sources du «scandale». Qu'a fait le député de Québec solidaire? Il a lancé un soulier sur une affiche de George W. Bush, en solidarité avec le journaliste irakien emprisonné après son attaque à la chaussure contre le président américain. Ce n'était sans doute pas l'idée originale du siècle.

Mais de la part d'un électron libre comme Khadir, c'est une forme de protestation dans l'ordre des choses. On peut être d'accord avec son geste symbolique. On peut ne pas être d'accord. De là à y lire un appel à la violence et à exiger une réprimande officielle de l'Assemblée nationale comme on l'avait fait pour Yves Michaud, il y a un pas – d'autant plus que la motion de blâme contre Michaud était une erreur.

Lancer une chaussure à la tête d'un politicien en chair et en os est une chose. C'est un geste violent, oui, indigne d'un député en démocratie. Lancer une chaussure contre une affiche en est une autre. C'était avant tout un geste symbolique. L'utilisation d'une image simple et forte pour faire passer un message. Juvénile et provocateur? Certainement. L'unique élu de Québec solidaire ne fait pas toujours dans la dentelle. Mais à quoi s'attend-on au juste d'un militant de gauche aguerri comme lui? Qu'il attende sagement son tour avant de lever la main?

En fait, pour tout dire, le geste d'Amir Khadir, aussi discutable soit-il, me dérange bien moins que celui du journaliste lanceur de chaussures devenu un héros dans le monde arabe. Passe encore qu'un citoyen excédé et sans voix lance des chaussures au visage d'un chef d'État qui parle d'une «victoire prochaine» après avoir déclenché sous de faux prétextes une guerre ayant entraîné la mort de centaines de milliers d'Irakiens depuis cinq ans. Mais un journaliste? Lancer une chaussure, même au visage d'un homme qui le mérite amplement, n'est pas la meilleure façon d'honorer la profession journalistique ou d'exercer sa liberté d'expression. Si un journaliste américain avait osé faire la même chose, l'aurait-on qualifié de héros?

Cela dit, on n'était pas dans les souliers de cet Irakien lanceur de chaussures, le jour de cette conférence de presse à Bagdad. Il n'y était pas lui-même, d'ailleurs. Pourquoi? On ne peut faire fi du contexte. Cinq ans d'occupation en Irak, des morts et des blessés par milliers, des veuves, des orphelins, des exilés. Avant de voir dans un lancer de souliers ayant fait plus de bruit que de mal un appel à la violence, il faudrait tout de même se rappeler que la pire des violences, elle est avant tout là, dans cette horreur quotidienne devenue «normale». Dans ces milliers de vies fauchées par une guerre préventive injustifiée. Dans le sourire indécent de ce Bush en fin de règne qui, après ce désastre dont il est le principal artisan, a encore le culot de revenir en Irak et de parler de cette «victoire» qui approche. À côté de ça, le crime du lanceur de chaussures ne fait pas le poids. Et la punition qui l'attend – il risque entre cinq et quinze ans de prison pour «agression contre un chef d'État étranger» – est disproportionnée. Le soulier devient ici l'arme du faible, symbole d'une rébellion malheureusement vite récupéré par les extrémistes islamistes.

Deux souliers volants vus des millions de fois sur YouTube valent mieux que mille mots, nous dit-on. Bien que cette fin d'année trouble ait popularisé les lanceurs de chaussures, je leur préfère encore et toujours les bons vieux lanceurs de mots, ceux qui inspirent et qui donnent envie d'y croire. Je pense aux mots d'Obama ce soir inoubliable du 4 novembre, plus porteurs encore que des millions de babouches sur la gueule de Bush. Il reste à souhaiter, pour 2009, que ce ne soit pas que des mots.