«Il n'est pas celui que vous pensez», dit un dépliant républicain à propos de Barack Obama. Cette publicité férocement démago du clan McCain assimile Obama au clan des terroristes.

«Il n'est pas celui que vous pensez.» Non, en effet. Obama n'est sans doute pas celui que le clan McCain pense. Plus intelligent et plus subtil que ses adversaires, qui exploitent la peur des électeurs devant ce Noir pas tout à fait noir au deuxième prénom arabe «douteux».

 

Sur cette question, Obama a montré maintes fois qu'il était au-dessus de la mêlée. Ce qu'il a à dire à ce sujet n'est pas qu'une simple défense face au clan républicain. C'est beaucoup plus qu'un slogan publicitaire. En parfaite maîtrise de son message, il ne joue pas à la victime ni ne s'abaisse au niveau de ceux qui flirtent avec la frilosité de l'électorat pour le discréditer. Il fait plutôt ce que son père a fait un jour quand, dans un bar hawaïen, un Blanc s'est plaint à voix haute de devoir boire aux côtés d'un «nègre». Dans le bar, c'était le silence. Tous s'attendaient à une bagarre. Mais qu'a fait Barack père? Il s'est dirigé vers l'homme qui l'insultait, lui a souri et lui a servi un discours posé sur l'intolérance, le rêve américain et la déclaration des droits de l'homme. Le Blanc qui l'avait insulté s'est senti si mal à l'aise qu'il lui a filé 100$. Assez pour payer une tournée à ses amis et même son loyer jusqu'à la fin du mois!

Comme son père, Obama ne répond pas au coup de pied en bas de la ceinture par un coup de pied en bas de la ceinture. Il vise plus haut. Il rêve d'une Amérique «post-raciale». Mais il ne fait pas que rêver. Il l'incarne. Et qui de mieux placé que lui pour le faire? Qui de mieux placé que lui pour aspirer à ce nouveau «nous», cette «Union plus parfaite» qui transcende les divisions raciales?

Voilà donc un candidat né d'une mère blanche du Kansas et d'un père noir du Kenya, élevé par une grand-mère blanche qui lui a un jour avoué qu'elle avait peur des Noirs qu'elle croisait dans la rue. Il n'est ni noir ni blanc. On a parfois dit de lui qu'il était trop noir ou encore pas assez. Et avec un génie qui lui est propre, Obama a réussi habilement à transformer ces «trop» et de ces «pas assez» en force politique rassembleuse. Au fil du temps, il a appris à jongler habilement avec les différentes facettes de son identité métissée - et par le fait même de l'identité américaine.

Obama n'est pas assez naïf pour croire qu'il pourra régler d'un seul coup de baguette magique les problèmes raciaux des États-Unis. Mais il est assez clairvoyant pour savoir que la seule façon de sortir de l'impasse consiste à parfaire le pacte social américain pour panser quelques-unes des «vieilles blessures raciales» du pays, comme il le dit dans son discours phare du 18 mars 2008. Un bijou à lire ou à relire (avis aux intéressés: on le trouve en traduction française, De la race en Amérique, Grasset, 2008).

Un extrait, juste comme ça: «Les hommes politiques ont trop souvent exploité la peur de l'insécurité à des fins électorales. Les animateurs de talk-shows et les commentateurs conservateurs se sont bâti des carrières en démasquant des accusations mensongères de racisme tout en assimilant les légitimes débats sur l'injustice et les inégalités raciales à du politiquement correct ou du racisme à l'envers.» Il y a là matière à réflexion non seulement pour nos voisins du Sud, mais aussi pour nos politiciens locaux en panne d'inspiration après l'émeute de Montréal-Nord.

Mais revenons à nos moutons américains. Si le cheminement identitaire d'Obama vous intéresse, allez voir en ligne l'excellent documentaire The Choice 2008 de l'émission Frontline à PBS (www.pbs.org). On y porte notamment un éclairage fascinant sur le parcours semé d'embûches de ce jeune homme qui a grandi à Hawaii et en Indonésie et qui a fait ses premiers pas politiques à Chicago. On y décortique son rapport complexe à la question identitaire et raciale. Comme métis, était-il «assez noir» pour se battre aux côtés des Afro-Américains? se demandaient certains. Était-il autre chose qu'un «homme blanc avec un visage noir»? Lui qui avait fait des études dans des universités prestigieuses, n'était-il pas trop élitiste? demandait-on lors des primaires démocrates de 2000 en Illinois, où Obama finira par perdre contre l'ex-Black Panther Bobby Rush.

Obama a beaucoup appris de cette défaite, raconte-t-on. Il a appris à ne pas être celui que l'on pense qu'il est. Il a monté un plan. Un plan qui lui aura permis de mieux courtiser le vote des Noirs tout en remportant des victoires dans des États parmi les plus blancs. Pas parce qu'il est noir ou blanc ou un peu des deux, mais bien parce qu'il est un brillant stratège, charismatique en plus.

«L'Amérique peut changer. C'est le vrai génie de cette nation», dit-il. Son génie à lui, c'est d'avoir réussi à incarner cet espoir de changement.

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