Les premières images montrent des paysages de cette rude Abitibi. Puis, lentement, les premiers personnages commencent à raconter leur histoire.

Ils rappellent qu'en 1967, on lisait La Presse le lendemain de sa parution à Montréal tellement l'Abitibi-Témiscamingue était une région éloignée.

Puis, en quelques témoignages, Martin Guérin, le réalisateur de Voir Ali, ce documentaire pas comme les autres, met en place le contexte. L'Abitibi, en 1983, subissait de plein fouet la folie inflationniste du début de la décennie. Les taux d'intérêt de 24%, les augmentations de salaire de 20%, les obligations du Québec à 19%, la baisse du prix des métaux et donc, le ralentissement économique dans le Nord-Ouest. C'était morose et voilà que Rouyn-Noranda avait été choisie comme ville-hôtesse pour accueillir les Championnats sportifs du Québec.

Fallait les organiser, fallait les présenter et fallait les financer.

La solution magique, c'était le grand souper-bénéfice. Après tout, la région avait fourni Réjean Houle, Serge Savard, Rogatien Vachon, Jacques Laperrière, André Savard et tant d'autres à la Ligue nationale de hockey. On pouvait donc se rabattre sur un joueur de hockey pour essayer de remplir l'aréna de la ville à 50$ le couvert.

On débattait de la question quand quelqu'un autour de la table a lancé: «On devrait inviter Muhammad Ali!»

S'cusez, on est à Rouyn-Noranda. Et on parlait de Muhammad Ali, le plus grand, trois fois champion du monde des poids lourds, vainqueur de Sonny Liston, de Joe Frazier, de George Foreman, de Ken Norton, vainqueur en fait du gouvernement américain, sans doute la personnalité la plus aimée et la plus connue sur les cinq continents de la planète. Muhammad Ali, le «Greatest», qui vivait dans une splendide demeure à Los Angeles entouré de leaders musulmans.

Aussi bien décrocher la lune.

Le film est fascinant... et charmant. Les témoins et les acteurs de l'histoire se sont assis devant la caméra de Guérin et, avec la simplicité des gaillards des régions du Québec, racontent ce qui s'est passé. Comment ils ont fini par contacter l'oncle de Mark Messier, comment ils se sont regroupés autour d'une table pour écrire leur lettre à Muhammad pour tenter de lui vendre leur rêve fou. Mon vétéran confrère Mario Leclerc de Rue Frontenac était jeune journaliste à Val-d'Or et il rappelle devant la caméra son incrédulité. Il ne pouvait croire que cette bande de rêveurs pouvait atteindre son objectif.

Pourtant, les fous de l'Abitibi se sont retrouvés à Los Angeles dans la grande maison d'Ali qui les a accueillis en leur faisant des tours de magie.

Puis, après cette première invasion du territoire du Plus Grand, le film le retrouve à Montréal. Et là, je connais une partie de l'histoire puisque j'y étais. Avec Roland Mailhot de CKAC, j'étais grimpé dans un avion Nordair nolisé par Hydro-Québec en direction de la baie James.

C'est en voyant des photos de ce voyage que je me suis rappelé que le ministre Gérald Godin était du voyage ainsi que Gilles Baril, qui ressemblait à Claude Charron à l'époque. Et de me revoir avec Muhammad Ali sur quelques photos a ravivé d'autres souvenirs.

En revenant vers Montréal, l'avion s'est posé à Rouyn-Noranda. Je continuais vers la métropole, mais Ali et son escorte, ainsi que Roland Mailhot, qui allait servir d'interprète pour le compte de CKAC, restaient en Abitibi.

J'avais manqué tout le reste. Le film de Martin Guérin me l'a raconté. En détail, en mettant les anecdotes dans leur contexte.

J'ai adoré la partie du documentaire où les témoins de l'époque, Jean-Paul Charlebois en tête, se rappellent que Muhammad, au lieu de parler de boxe, avait consacré toute son allocution à prêcher l'islam et à dénoncer le racisme aux États-Unis. Un des intervenants, en revenant sur la soirée, dit avec la verdeur d'un gars de région: «Je sentais la foule qui débandait au fur et à mesure qu'Ali parlait.»

Mais les années ont gommé la déception. Qui donc se soucierait d'un invité à un souper-bénéfice, 27 ans après la soirée, si ça n'avait pas été le grand de tous les grands? Et un cinéaste avec un budget plus que modeste aurait-il trouvé le filon (en Abitibi!) pour offrir ce film au Festival du cinéma international de Rouyn-Noranda, à compter du 30 octobre jusqu'au 4 novembre?

Comme le disent les vrais motards, ou plutôt les vrais bikers, ce qui compte, ce n'est pas la destination, c'est le voyage. Dans le film de Guérin, ce qui compte, ce n'est pas le souper, c'est l'épopée.

Je suis très mauvais juge puisque Muhammad Ali est la seule idole que j'aie dans le sport et que j'étais acteur d'une partie de l'aventure et du voyage. Mais j'ai adoré et pourtant... je ne viens pas de l'Abitibi.

Et puis, j'ai aimé revoir la binette à Mailhot...

Photo: archives La Presse

En juin 1983, le champion de boxe Muhammad Ali avait visité la centrale LG2 avant de se rendre à Rouyn-Noranda, en compagnie de sa femme Veronica (avec les lunettes de soleil, en arrière-plan) et du député Gilles Baril (au tout premier plan, avec les cheveux frisés). C'était le ramadan et Ali avait jeûné toute la journée. Le documentaire Voir Ali, réalisé par Martin Guérin, montre la visite inusitée du «Greatest» dans ce coin du Québec.