Marian, Peter et Anton Stastny étaient tout sourire sous le projecteur installé par le photographe. La fatigue creusait un peu les traits de Peter et d'Anton, arrivés l'après-midi même à Québec mais ils étaient visiblement heureux dans leur chandail des Nordiques. On était dans une salle de l'hôtel de Marian à Saint-Nicolas et ça sentait le Jour de l'an tellement il y avait de la joie dans l'air.

Plus tard, quand on s'est retrouvés dans un salon du chaleureux hôtel, les frères ont réfléchi pendant quelques instants avant de répondre à une toute petite question.

Qu'est ce que ça vous a fait d'enfiler tous les trois votre chandail des Nordiques?

«Moi, c'est les souvenirs. Quand nous avions 20 ans et qu'on jouait de grands matchs avec les Nordiques. C'est plus fort que nous, quand on revêt le chandail, on se revoit jeunes et audacieux. C'est très émouvant», a noté Marian, le plus tranquille des trois frères.

«Je me suis senti plus jeune. De poser avec le chandail des Nordiques, ça m'a fait me sentir plus jeune. C'est génial», a ajouté Anton, le plus malcommode des frères.

Et toi, Peter?»Des images de ces 10 années passées à Québec, les plus belles de toute ma vie. Mes quatre enfants sont nés ici, ils sont québécois tous les quatre. Et puis, ce chandail, mes frères et les Nordiques, ça fait partie de ma vie. Mes enfants ont porté ce chandail à la maison (moi aussi, dit Anton) et il y en a eu dans le sous-sol de notre demeure à Bratislava», de dire Peter.

Il y avait une énorme émotion dans leurs yeux. Ils revivaient leur arrivée il y a une trentaine d'années, alors qu'à l'époque, ils étaient des exilés d'un régime communiste qui était l'ennemi du Canada.

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Quand je les ai rejoints à Saint-Nicolas, on aurait dit que les années avaient été gommées par magie. Anton disparaissait sans prévenir comme il le faisait il y a 30 ans. Et Peter le surveillait du regard comme il le faisait quand il le couvait de son regard de grand frère: «Anton n'a pas changé. Il est resté le plus jeune des frères, toujours aussi indiscipliné», a-t-il dit en souriant.

Ils sont difficiles à interviewer. Dans le cas de Peter, c'est qu'on a l'impression qu'on se connaît trop, avec Anton, il se réfugie derrière son sourire espiègle et Marian est toujours un peu ténébreux. Mais les trois assis dans de larges fauteuils, la dynamique change. Ils se taquinent, complètent la réponse de l'un et de l'autre et leur joie de se retrouver est telle qu'elle transforme toute réponse en un moment précieux.

«Ça doit faire 25 ans qu'on ne s'est pas retrouvés tous les trois dans une mission officielle», dit Peter: «C'est vrai mais on se voit quelques fois à chaque année. Mais comment se retrouver toute la famille quand chacun a ses intérêts personnels et familiaux?» note Marian.

C'est vrai. Anton a une usine de fabrication de meubles en Slovaquie et un centre de distribution en Suisse. Peter se promène entre Bratislava, Bruxelles et Strasbourg comme député de la Slovaquie et Marian est à Saint-Nicolas où les affaires vont très bien. Les deux autres frères Stastny ont aussi leur vie.

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Peter était courtisé depuis quelques semaines par les organisateurs de la Marche bleue. C'est finalement Anton qui l'a convaincu: «J'avais un vrai problème. Ma femme Darina se promène entre trois villes. Si je venais passer le week-end à Québec pour appuyer le retour des Nordiques, ça voulait dire qu'elle ne me verrait pas pendant plus de 10 jours. Je ne voulais pas la contrarier mais Anton m'a dit que je n'avais pas le choix», de raconter Peter.

«Et puis, nous avons tellement été heureux à Québec que je ne pouvais pas refuser de venir donner un coup de pouce. Darina est arrivée enceinte à Québec et notre première fille, Christina, est née en 1980. Puis, on a eu des bébés en 1982, 1983 et 1985. Tellement qu'en 1986 ou 1987, Paul Gillis est venu me voir et m'a demandé s'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Je lui ai demandé pourquoi il me disait ça. Ben... ta femme est pas enceinte, doit y avoir quelque chose qui cloche.» Et Peter raconte l'histoire avec un grand éclat de rire: «Il y avait de l'action pas seulement sur la patinoire», le taquine Marian.

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Je demande aux frères quels sont les plus beaux souvenirs de ces 10 ans passés à Québec: «Moi, c'est l'hiver froid et blanc. Mais ça, c'était le pire. Sauf que ç'a donné une chanson extraordinaire de Gilles Vigneault, mon poète favori: «Mon pays, ce n'est pas mon pays, c'est l'hiver»», répond en chantonnant Anton. Plus sérieux, il reprend: «Je crois que je n'oublierai jamais de ma vie l'accueil des gens. On arrivait dans un pays qu'on ne connaissait pas et les gens nous ont ouvert leur coeur.»

Marian reprend: «Moi, après 29 ans, je réponds aux gens que mon village natal est Saint-Nicolas». Pourtant, Marian était le président du congrès mondial slovaque. Il aurait pu rentrer dans son pays après la chute du mur de Berlin: «Je connaissais les gens qui se sont emparés du pouvoir, je ne voulais pas être associé à ces gens», dit-il avec un ton sec. Peter ajoute avec la force qu'on lui connaît: «La Slovaquie est le pays le plus corrompu de la communauté européenne. Mais en démocratie, on finit toujours par nettoyer les officines du pouvoir», dit-il.

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Marian ne cache pas qu'il a été cruellement blessé quand Peter et Anton ont fui la Tchécoslovaquie en 1980 en le laissant derrière. Même devant eux, il répète que ça sera toujours une tache noire sur leur lien fraternel. Mais il ajoute dans un même souffle que ça ne change rien à l'amour qu'il leur porte. Et en les voyant ensemble, on le croit sur parole. D'ailleurs, Peter et Anton ne répondent pas quand Marian parle ainsi. Ils respectent son état d'âme et la blessure subie dans le temps.

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Un formidable tourbillon les attendait. Mais avant de quitter pour le centre-ville où les espéraient des milliers de fans des Nordiques, ils sont revenus sur le sujet du jour. L'amphithéâtre: «À cause des 10 ans de bonheur passés à Québec, nous n'avions pas le choix. C'est un rendez-vous important. Comme on se réunit quand quelqu'un meurt dans la famille», dit Peter.

«Ce n'est pas une mort, c'est une naissance», le corrige tout de suite Anton.

Les trois frères se mettent d'accord. C'est une naissance: «Je rêve du jour où nous serons invités à venir mettre la rondelle au jeu lors du premier match des Nordiques dans le nouvel aréna. Je reviendrai c'est certain si on m'invite», de dire Peter en riant.

J'espère qu'on invitera Guy Carbonneau. Les deux ont passé leur carrière à se battre pour faire gagner leur équipe sur la patinoire. Quand on voyait Peter, on voyait Carbo. Peter rit: «En tout cas, Guy n'aura pas eu de problème avec son temps de glace.»

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Fallait quitter pour le centre-ville. À mon arrivée à l'hôtel Stastny, il pleuvait encore. Temps maussade et frisquet.

Quand on est sortis, on voyait une belle éclaircie à l'horizon: «C'est un signe. Regarde, il va faire soleil. Le bon Dieu est du bon bord», a lancé Peter.

On espère seulement que le bon Dieu aime le bleu nordique et la fleur de lys...