Va falloir changer l'ordre de mes grands de tous les temps dans le tennis. L'extraordinaire duel que se livrent Roger Federer et Rafael Nadal depuis quelques années leur a permis de se surpasser tournoi après tournoi, et les a poussés à des hauteurs d'excellence que peu de joueurs ont atteint.

J'espère que vous avez suivi les matchs opposant Federer à Novak Djokovic en demi-finale et celui de Nadal contre Djokovic lundi à Flushing Meadows. Parce que sinon, vous avez raté deux grands moments dans l'histoire de ce sport pas comme les autres. Non seulement ce furent de grands matchs, mais les deux hommes impliqués à chaque fois sont allés au bout de leurs ressources et à fond de train.

C'est une grosse différence. J'ai déjà couvert des matchs de cinq heures. Mats Wilander et Jimmy Connors s'accrochaient parfois dans pareils marathons. Mais ils savaient étirer les pauses entre deux services, ils savaient renouer un lacet au bon moment pour reprendre leur souffle ou même, dans le cas de Connors, s'engueuler avec l'arbitre pour avoir droit à deux minutes de repos.

Mais tant samedi que lundi, les joueurs ont foncé à toute allure, relançant le jeu dès qu'un point était terminé. Djokovic forçant Federer et Nadal à se compromettre sur de nombreuses balles.

Federer est le meilleur joueur de tous les temps. Et ma mémoire remonte à Robert Bédard, Don Fontana et François Godbout, qui affrontaient Pancho Gonzales et les autres grands joueurs amateurs de l'époque dans les matchs de la Coupe Davis à Radio-Canada. Louis Cayer devait déjà être l'analyste, si je me fie à son ton en ondes.

D'autres furent de grands joueurs. Pete Sampras, Ivan Lendl, John McEnroe, Andre Agassi, Bjorn Borg et de nombreux autres. Avant 1968, c'est difficile de juger puisque les meilleurs joueurs devaient être des amateurs et que de nombreux excellents tennismen étaient écartés des grands tournois.

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Mais surtout, qu'on le veuille ou non, il faut quasiment redéfinir le tennis avec la disparition de la raquette en bois. Bjorn Borg a remporté une généreuse collection de titres de Grand Chelem en jouant avec une Donnay en bois. J'ai commencé avec une Slazenger en bois et à l'apparition de la première raquette en graphite, mon service a gagné 40 kilomètres à l'heure. Il est passé de très lent à lent!

Mais les nouvelles raquettes en composite ont complètement changé le jeu. Il est pratiquement impossible d'enchaîner service volée comme dans les belles années de McEnroe ou de Stefan Edberg, parce que les retours sont maintenant trop puissants. De plus, le jeu de fond s'est incroyablement amélioré (et l'adverbe est juste) avec les raquettes, les nouveaux cordages et la musculation améliorée des joueurs.

Et on arrive à Nadal. Je ne sais pas si son corps va lui permettre de surpasser Federer. Mais il est en train d'établir un nouveau tennis. Selon les magazines spécialisés, Nadal imprime une rotation de 5000 tours/minute à la balle avec son coup droit lifté. Federer est à 4000 tours et la moyenne des joueurs est de 2500 tours. Mais frapper avec autant de puissance en donnant pareille rotation à la balle est taxant pour le corps. Et Nadal accumule les blessures depuis quelques années.

Lundi, Djokovic, qui à une autre époque aurait été un premier mondial facile, a frappé comme un déchaîné et s'est battu sur chaque balle ou à peu près. Il a cogné ce qui paraissait comme des coups gagnants à plusieurs reprises et pourtant, Nadal retournait la balle, non pas en jouant en défensive, mais en la frappant avec autant de force et en y ajoutant un lift meurtrier.

De plus, l'Espagnol est doté d'une force mentale peu commune. Il a disputé une dizaine de parties sans commettre une seule faute directe. Parfois, il perdait le point, mais c'était parce que Djokovic atteignait la perfection avec le coup gagnant.

Samedi, Federer a raté plusieurs coups droits en parallèle. C'est toujours un coup difficile à réussir, surtout si on est attaqué. Et c'est un coup qui exige une concentration extrême. La tentation est toujours vive de viser la ligne. Federer s'est laissé aller une dizaine de fois. Ce sont les points qui ont fait la différence à la fin du match.

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Federer est le meilleur de tous les temps. Certainement le meilleur du tennis moderne. Et on peut présumer que mieux entraînés, plus athlétiques, plus forts, mieux équipés et mieux préparés stratégiquement avec les vidéos et les coachs, les meilleurs d'aujourd'hui battraient les meilleurs d'autrefois.

Pete Sampras vient au deuxième rang dans mon esprit même s'il n'a jamais gagné les Internationaux de France sur terre battue.

Et puis, il faut tenir compte de Rod Laver, l'homme aux deux Grands Chelems, même s'il a chevauché deux époques, celle du tennis amateur et celle qui fut le vrai début de l'ère Open avec les professionnels.

Jamais quelqu'un n'a brossé la balle comme Rafael Nadal. Et son physique de taureau ferait ombrage à un grand joueur comme Gonzales. Les géants de l'ère «du bois» faisaient 6 pieds 3 pouces, je pense à Bill Tilden, mais leur préparation physique ne se comparait pas à celle de Nadal ou de Federer.

Vous savez ce que j'aimerais lire? Un texte de François Godbout. Le juge a affronté les meilleurs de son époque, il est resté impliqué dans le tennis de haut niveau pendant toute sa vie et il a l'ouverture d'esprit nécessaire à une telle réflexion.

DANS LE CALEPIN - Il semble que René Angélil et les présidents du Canadien aient trouvé un terrain d'entente pour le poste d'ambassadeur de Guy Lafleur au sein de l'organisation. Tant mieux, tant mieux, tant mieux. Ça va permettre à Guy Lafleur de continuer à être Guy Lafleur, et au Canadien de rappeler son passé glorieux.

Photo: Reuters

L'Espagnol Rafael Nadal, doté d'une force mentale peu commune, est en train d'établir un nouveau tennis.