Les archives d'un grand journal comme La Presse contiennent des textes fabuleux. Mais les archives électroniques des gars du pupitre en retiennent des pourris rares. Ou plutôt des «hors sujet» assez incroyables!

Et s'il fallait qu'on publie par erreur un de ces textes préparés à l'avance, j'en connais qui rougiraient de gêne... sinon de honte. À commencer par l'humble chroniqueur.

Par exemple, ce bilan de la saison complété à 18h50 le vendredi soir du cinquième match du Canadien à Washington. Les Capitals menaient 3-1 dans la série, ils venaient de flanquer deux volées de bois vert au Canadien en plein Centre Bell et la direction des sports m'a demandé de préparer le bilan de la saison pour le lendemain, samedi, puisqu'on ne publie pas le dimanche.

J'ai donc consulté certains de mes confrères et d'autres sources d'information pour valider certaines de mes opinions. Entre autres, Jacques Demers a été généreux de ses idées: «C'est simple, l'équipe est vraiment trop petite. Les gars ne sont pas assez gros, on le voit contre les Caps», m'a-t-il dit. Un autre m'a expliqué qu'il fallait prévenir les fans qu'ils vivraient le même cauchemar pendant trois ou quatre ans encore puisque Bob Gainey avait fait signer de lucratifs contrats à long terme à ces schtroumpfs. En plus, il était évident qu'on échangerait Jaroslav Halak, puisque Carey Price demeurait quand même l'homme de l'organisation.

J'ai donc écrit une belle chronique en essayant de bien digérer ces informations et en ajoutant mon gros grain de sel. Et d'épice. Plus du poivre. J'ai même pris la peine de suggérer un titre qui sonnait comme... «Aussi bien s'habituer, on en a pour quatre ans!»

Après la deuxième période, j'ai appelé le pupitre et on s'est entendu. J'allais écrire une autre chronique au cas où le Canadien gagnerait. Ce qu'il a fallu faire dans les dernières minutes du match au grand courroux de François Gagnon, qui se retrouvait tout seul pour couvrir les deux vestiaires.

Avant le sixième match au Centre Bell, j'ai corrigé mon bilan en adoucissant certaines critiques. Et plus tard en soirée, j'ai été obligé d'écrire une autre chronique d'urgence après la victoire de Halak. C'est le soir des 54 lancers.

Contre Pittsburgh, il n'y avait plus de bilan possible. Parce que ce qui s'était passé pendant la saison régulière n'avait plus rien à voir avec les séries. Le phénomène Halak était devenu énorme et les joueurs inspirés par ses performances invraisemblables et moulés en un groupe homogène par Jacques Martin étaient devenus une autre équipe. Une belle équipe.

Il fallait plutôt entrer dans un printemps nouveau. Tout reprendre parce que depuis la dernière semaine pitoyable de la saison régulière, il s'était passé quelque chose de gros, de vital. Et surtout, s'assurer que ce bilan soit détruit dans les gros ordinateurs de La Presse.

C'est tout le monde qui a été pris par surprise. Ron Fournier avait des vacances planifiées en mai. À La Presse, on a préparé des mois à l'avance la couverture de la Coupe du monde de soccer en Afrique du Sud et Jean-François Bégin quitte Montréal le 5 juin.

Moi-même, il y a trois mois, j'ai préparé un long voyage à Ouagadougou, au Burkina Faso. Incluant des visites dans des hôpitaux et des écoles dans les villages. Il n'y avait pas de problème, le Canadien n'était même pas certain de participer aux séries. Encore moins de vaincre les champions de la saison régulière comme il l'a fait.

C'est l'industrie de l'information dans le sport qui le veut. On couvre au jour le jour des victoires et des défaites d'idoles. Une défaite contre les Capitals lors de ce cinquième match et c'est à la varlope que les ultra fans de RDS auraient écorché les joueurs du Canadien. Aujourd'hui, ils font une analyse professionnelle et objective des matchs avec un chandail des Glorieux sur le dos. Une défaite ce vendredi soir et j'aurais eu raison de publier un bilan critique. Quelques victoires volées par Jaroslav Halak, un gardien dont on ne savait que faire deux mois plus tôt, et c'est tout le Québec qui est aux pieds de l'équipe et de ses membres. Et puisque le Canadien est maintenant la seule équipe du pays encore en lice pour la Coupe Stanley, il devient le favori de 33 millions de citoyens. Même du ministre du Patrimoine, James Moore. C'est quand même extraordinaire.

Le gros bémol, ce sont les voyous qui ont dévalisé des boutiques au centre-ville de Montréal et qui ont agressé les policiers chargés de veiller sur les gens et le bien public.

J'ai beaucoup de respect pour ces policiers. Se faire vomir dessus et ne pas perdre son calme, c'est admirable. Je pense qu'on devrait changer la loi pour les soirs de victoire du Canadien en séries éliminatoires. Pendant une heure ou deux, on devrait permettre l'utilisation à volonté de la matraque.

Ça s'est déjà fait dans un passé pas si lointain contre des manifestants souverainistes. Le «samedi de la matraque» est même passé dans le vocabulaire historique et politique du Québec. Ça permettrait aux fans de célébrer en paix et dans le plaisir...

DANS LE CALEPIN Donc, je pars pour l'Afrique. Je vais suivre les matchs à CKAC, voir les reprises à RDS et sur Cyberpresse, lire François tous les jours grâce à La Presse dans mon ordi et revenir pour la finale entre le Canadien et les Blackhawks de Chicago. En écoutant Le But, de Loco Lacass. Le texte est magnifique. Comment ça se fait que ça ne joue pas au Centre Bell?

Ça va être formidable.

Et après, on préparera un bilan...