En tous les cas, personne ne pourra accuser le Canadien de ne pas savourer son passé. Et si l'organisation pouvait mettre un produit sur la glace aussi bon que celui qu'elle offre dans son marketing, les gens passeraient des mois de juin délirants.

Comme ce Temple de la renommée du Canadien, c'est une autre bonne idée. Les gens vont pouvoir aller se recueillir sur les médailles bénies de leurs idoles comme on le faisait à Sainte-Anne-de-Beaupré ou à l'oratoire Saint-Joseph. Une médaille, un coeur momifié, des béquilles, de l'eau sanctifiée, de l'huile vendue encore plus cher que de la Mazola 100% d'olives italiennes, ça ne tient pas le coup contre les onze bagues de la Coupe Stanley de Henri Richard.

Vive la vraie religion!

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Chacun doit avoir ses objets sacrés. Chacun peut se faire son propre temple de la renommée. Par exemple, si j'étais le curateur, j'établirais ma liste à partir des plus dignes de figurer dans l'histoire sacrée.

Le premier, c'est Guy Lafleur. Dans un temple qui serait assez vaste, c'est sa première Cadillac que je montrerais aux fans. Quand il a signé son contrat avec le Canadien en 1970-1971, Lafleur était encore tout rempli de l'atmosphère et de l'ambiance de Québec. C'est dans le Village qu'était son coeur. Tellement que Lafleur, tous les jours, quittait Montréal après l'exercice du Canadien et descendait souper à Québec. Il couchait dans la Capitale et il revenait le lendemain à Montréal pour l'exercice du matin: «Je ne pense pas avoir manqué une journée», de dire Lafleur en riant. N'importe quelle Caddy qui se tape 3500 kilomètres par semaine mérite de figurer à la place d'honneur du Temple du Canadien.

Le suivant est Maurice Richard. Ce qui représenterait le mieux le Rocket, ce sont les billets de tramway que le Rocket utilisait pour se rendre au vieux Forum. Pendant qu'il mettait des millions dans les poches des propriétaires de la Ligue nationale, le Rocket se faisait outrageusement exploiter par eux. Ou encore le camion qu'il avait utilisé pour déménager un jour de match. Il fallait économiser, et au salaire que touchait le Rocket, il n'était pas question d'embaucher une compagnie de déménagement. Maurice avait donc grimpé trois étages avec un frigo, un poêle, des meubles de chambre et un ensemble de salle à manger. Il était tellement épuisé qu'il se demandait, comme Georges Laraque cette semaine, s'il allait pouvoir jouer. Il avait marqué cinq buts dans la victoire du Canadien. Georges en a quand même marqué un.

Puis, c'est Jean Béliveau. Dans mon temple personnel, c'est la collection de livres Marabout du Gros Bill que je voudrais retrouver. J'étudiais au Petit Séminaire de Chicoutimi et j'en bavais en voyant les publicités de Béliveau dévorant Guerre et paix de Tolstoï dans Marabout. On voyait Béliveau avec Quo Vadis, Les trois mousquetaires ou Vingt ans après d'Alexandre Dumas, ou encore Anna Karenine de Tolstoï, ou Crime et châtiment de Dostoïevski: «Le distributeur de Marabout, M. Kazan, était un ami. Disons que les voyages en train passaient plus vite», m'avait raconté M. Béliveau des années plus tard. Juste pour mon plaisir, tous ces gros et bons romans, ils sont rendus où, M. Jean?

Mon quatrième membre du Temple, c'est Serge Savard. Défenseur, capitaine, leader et directeur général de l'équipe. Une collection de conquêtes de la Coupe Stanley comme joueur et comme patron. Le grand Serge a commencé dans le monde des affaires avec une mercerie pour hommes sur la Rive-Sud. Avec le grand et mince Jean-Louis Marinier, Serge était sans doute le plus élégant des joueurs du Canadien de son époque. Il me semble qu'un complet en Fortrel avec des lignes psychédéliques et des pattes d'éléphant aurait sa place dans le Temple.

Mon cinquième est le grand Larry Robinson. Tellement fin, tellement gentil, tellement grand frère, tellement colosse, que le Temple doit recevoir quelque chose de très personnel. Un clou. LE clou arraché quand Big Bird avait enfoncé Gary Dornhoafer dans le bande du Forum. Rien ne symbolise mieux la puissance et la force de ce grand joueur ainsi que le rôle essentiel qu'il a tenu dans la nouvelle révolution qui a mené à l'extinction des Broad Street Bullies de Philadelphie.

Les cinq autres membres de mon temple personnel sont Patrick Roy, Dickie Moore, Bernard Geoffrion, Guy Lapointe et Doug Harvey.

Il faut être prudent en choisissant des objets qui pourraient les représenter. Patrick Roy, c'est relativement facile. Je choisirais le téléviseur qu'il a fracassé dans le bureau de son coach Bob Hartley. C'est un téléviseur qui est passé à l'histoire et qui mérite sa place. Pour Dickie Moore, ce serait un plâtre. Ça m'a toujours fasciné de savoir que Dickie avait gagné le championnat des marqueurs de la Ligue nationale en jouant le dernier tiers de la saison avec un poignet dans le plâtre. Il formait un trio dangereux avec Jean Béliveau et Marcel Bonin. Ce fut l'année de gloire de Marcel Bonin, le meilleur des hommes et grand historien devant l'Éternel.

Les gens qui se souviennent de Bernard Geoffrion n'auront aucune difficulté à deviner l'objet personnel qui le représenterait. Ce serait une copie de son grand succès sur 45 tours, C'est pas sérieux. Un cha-cha-cha que Dick Rivers avait popularité en France avec les Chats sauvages. Pour vous donner une idée, Dick Rivers chante encore et a fait une présence remarquée et remarquable à Tout le monde en parle.

Pour Guy Lapointe, le cadeau est facile. Son chandail retiré au plafond avec les deux autres compères du Big Three. Et pour Doug Harvey, qu'on fasse disparaître toutes ces photos des dernières années, alors qu'il était trop souvent dévasté par l'alcool, et qu'on se souvienne seulement de son sourire taquin et de ses yeux vifs et moqueurs. En se rappelant qu'il fut le plus grand joueur de défense de l'histoire avant Bobby Orr.

Et au fait, c'est peut-être quand on a le regard dévasté par l'alcool qu'on est le plus grand...

Mon temple des arbitres...

Et en passant, pensez-vous sérieusement une seule petite seconde que Stéphane Auger est le premier arbitre de la Ligue nationale à prévenir un joueur qu'il l'aura à l'oeil pendant un match? Ben voyons, il me semble que l'angélisme et la naïveté dans le sport professionnel sont choses du passé depuis longtemps. Sinon, pourquoi consacrer 100 heures par semaine à la télé au Canadien?

J'ai eu mes préférés chez les arbitres de la Ligue nationale. Mon premier de tous les temps, toutes catégories, est évidemment Ron Fournier. Quand je couvrais le Canadien et que Ron arbitrait dans l'Association mondiale, le vol Chicago-Montréal du dimanche matin était le plus beau et le plus extraordinaire de la saison. On revenait à Montréal de Los Angeles, en transit, et souvent Ron rentrait à la maison pour quelques jours après avoir oeuvré à Phoenix ou à Houston. Parfois, il n'y avait qu'une vingtaine de passagers dans l'avion et on passait les deux heures à l'écouter raconter les dernières histoires. Quand il nous parlait de Birmingham, c'était tordant. Et puis, même dans la Ligue nationale, Ronnie Baby n'a jamais arbitré un match de sa vie. Il gérait les matchs, distribuant les pénalités selon le score. Il va s'en défendre avec ardeur, mais Ron a toujours eu le sens du spectacle.

Mon deuxième est Wally Harris, que Scotty Bowman détestait souverainement. Les deux venaient de Verdun et cela doit expliquer ceci. Aujourd'hui, Wally a une maison tout près du mont Tremblant, voisin d'une juge de mes amies. Comme elle aime Wally, ça veut dire qu'il n'a pas changé et qu'il est toujours aussi gentil et prévenant.

Puis, c'est Paul Stewart. Le beau Paul était un goon des Nordiques dans le temps de Michel Bergeron. Après sa retraite, il est devenu arbitre. Étrange. Surtout que le beau Paul parlait durant tout le match. Il n'y avait pas un jeu qui ne méritait pas un commentaire. Un soir, à Québec, un Nordique a lobé la rondelle dans le territoire adverse. Puis, il s'est mis à rire à gorge déployée. Je lui ai demandé ce qui s'était passé. «C'est Paul Stewart, a-t-il répondu. Après mon lob, il m'a lancé que si je voulais jouer au tennis, je devrais changer mon hockey pour une raquette.»

Le quatrième, c'est Andy Van Hellemond. Lui aussi était un spécialiste dans l'art de «gérer» un match. Andy voulait être aimé. Il était beau gosse et apprécié par les joueurs. Malheureusement, il a été forcé de quitter son poste de patron des arbitres parce qu'il avait emprunté de l'argent à ses employés pour payer ses dettes de jeu.

Et mon cinquième est évidemment Stéphane Auger. J'aime les arbitres qui ont des pamplemousses et qui se tiennent debout. Mais j'ai peur pour la suite de sa carrière, surtout qu'il est un témoin important dans le procès de Shayne Doan contre Denis Coderre.

Et mon chroniqueur de hockey favori? Il est humble, il est modeste, il est gentil. On le voit à la télé et on l'entend souvent à la radio.

Vous l'avez tous reconnu.

C'est François Gagnon.