J'ai reçu une lettre cette semaine. Comme 100 autres qu'on m'a envoyées après la triste condamnation de Guy Lafleur. Mais celle-ci m'a tellement touché que j'ai voulu la partager avec vous. Et avec Guy Lafleur.

Comme j'ai passé des longues heures avec Lafleur cet été, comme j'ai jasé de tout ce qui lui est arrivé au cours des dernières années, j'ai bien senti que ce père qui m'écrivait avait traversé le même enfer.

En plus, je sortais du St-Hubert à Saint-Sauveur quand le chanteur Claude Dubois m'a croisé. « Vas-tu voir Guy Lafleur au cours de l'été? Oui? Veux-tu lui dire de ma part que comme homme et comme père, je suis fier de lui.»

J'ai transmis le message.

Puis, j'ai reçu la lettre.

«Je m'appelle Robert...

«J'ai lu votre article sur Guy Lafleur, il n'y a pas longtemps. Comme tant d'autres, j'ai admiré Guy Lafleur. Je suis reconnaissant pour ce qu'il nous a apporté en tant que joueur de hockey. Cet homme-là m'a rendu fier. Guy a un fils qui a le syndrome de Gilles de la Tourette. Mon fils l'avait lui aussi. Il faut le vivre pour savoir ce que ça veut dire de prendre soin d'un jeune homme qui a cette maladie-là. Je suis convaincu que j'ai vécu la même chose que Guy Lafleur. J'ai senti que je pourrais l'aider et de cette façon lui remettre un peu de ce qu'il m'a donné.

«Mon garçon s'est enlevé la vie à l'Hôtel-Dieu de St-Jérôme, le 6 novembre 1996. Il avait 17 ans. Il a vécu avec moi pendant deux ans. Il était de plus en plus malade, il a fallu le placer au Centre d'accueil d'Huberdeau. Là-bas, il était devenu trop dangereux; ils l'ont amené à l'hôpital pour qu'il soit vu par un psychiatre. Il était en observation depuis six jours aux urgences lorsqu'il s'est enlevé la vie dans les toilettes. Mon garçon m'avait déjà dit, juste après une de ses crises: Il ne faudrait surtout pas qu'un jour je blesse ou que je tue quelqu'un quand j'ai une crise... Ça l'affolait. Il n'a blessé personne, mais ça m'a fait un mal épouvantable de l'entendre dire ça.

«Le fils de Guy Lafleur vit encore. Tant mieux. J'aurais voulu dire à Guy que comme père, je le comprenais, que je sais ce que ça fait quand les gens autour ne comprennent pas pourquoi on se démène comme un diable pour aider notre jeune; quand on nous juge et que l'aide manque.

«J'étais au salon funéraire après la mort de mon fils lorsqu'une femme est venue me dire qu'elle avait perdu un proche par suicide elle aussi. Elle m'a dit de téléphoner au Centre de prévention suicide Le Faubourg pour que je reçoive de l'aide rapidement. À ce moment-là, j'étais tellement enragé contre l'hôpital, qu'il fallait que je fasse quelque chose avant que je ne commette un geste que je regretterais par la suite. J'ai rencontré un avocat pour poursuivre l'hôpital, qui n'avait pas protégé mon garçon. Cet avocat m'a dit que même si je gagnais ma cause, ça ne me satisferait pas. Il avait raison. Lui aussi, il m'a dit de demander de l'aide au Faubourg. Les intervenants de ce centre m'ont ramassé à la petite cuillère. Ç'a pris du temps, mais j'ai réussi à me débarrasser de la rage qui me rongeait le coeur. J'étais en train de m'enfoncer dans un trou noir.

«En fait, je veux surtout vous dire qu'il faut faire quelque chose pour aider les gens qui vivent avec une personne qui a un problème de santé mentale. Je suis loin d'être le seul à avoir eu besoin d'aide. Moi, j'ai eu la chance de recevoir de l'aide après le décès de mon fils. Il faut que le monde sache que ces petits organismes de prévention du suicide existent, qu'ils sont efficaces, même si leurs conditions de travail ne sont pas ce qu'elles devraient être. Moi, je tente de les aider comme je le peux. Je leur donne 20$ par mois. J'aimerais faire plus. Lorsqu'on n'en peut plus, il faut de l'aide et vite. Lorsqu'on a peur de ce qui peut arriver à son enfant malade, comme mon fils et comme celui de Guy Lafleur, il faut une aide efficace et vite.

«J'ai pensé que mon histoire vous intéresserait...

«Merci pour vos articles, M. Tremblay.

«Merci Guy Lafleur.

Merci aux gens du Faubourg.»

 

Je veux juste vous dire que Guy Lafleur ne lâche pas. Ni Lise, sa femme. Ni même Martin, le fils aîné de la famille. Mais c'est extrêmement difficile. Lise a été démolie par des années de stress et de difficultés à tenter d'éduquer et de contrôler Mark. Guy Lafleur tient le fort pour l'instant. Le 4 août, Mark a recouvré une liberté partielle. Je sais que Guy Lafleur continue de veiller sur lui et d'espérer des jours meilleurs. «Si les gens se doutaient à quel point Mark a toujours été mal dans sa peau. Mais personne ne peut comprendre ce qu'on vit si on n'a pas vécu quelque chose de semblable. C'est impossible».

C'est pour ça que je transmets la lettre de Robert. Parce que lui comprend, il a vécu.

Je veux vous dire aussi que Guy aime profondément son fils. Il souffre avec lui, mais il l'aime. Il espère que les symptômes du syndrome de La Tourette vont s'estomper en vieillissant. Quelques-uns des cent spécialistes qu'il a rencontrés lui ont dit que c'était souvent le cas.

Pendant l'été, j'ai parcouru le Québec. Partout, on m'a parlé de cette triste et injuste affaire. Quand j'étais avec Lafleur, les gens venaient le saluer avec respect et amour. Tous, sans exception, lui ont dit qu'ils partageaient une partie de sa peine. Et qu'ils ne comprenaient pas l'acharnement pervers qu'on avait montré à son endroit dans les petits cénacles cheapo de la grande Justice.

Ils sont également des centaines à avoir contacté Lafleur. Leur fils ou leur fille souffre d'une maladie mentale. Ça peut être de l'autisme, de la schizophrénie, de trouble bipolaire ou d'un syndrome quelconque, mais tous l'ont remercié d'avoir au moins tenté d'accompagner son fils. Et de leur avoir donné un peu de courage même quand les épreuves se sont abattues sur lui et sa famille. Eux et elles tentent de le faire, mais pour la plupart, le découragement et l'épuisement les écrasent.

Il est évident que Mark Lafleur a commis des gestes répréhensibles. Mais pour l'instant, c'est Guy Lafleur qui partage un casier judiciaire avec lui. Heureusement, peut-être que les juges de la Cour d'appel auront une petite marge pour le bon sens.

D'ici là, les gens auront l'occasion de témoigner à Lafleur tout l'amour qu'ils lui vouent. Le 20 septembre, on va fêter le grand numéro 10. Marcel Dionne, Gilbert Perreault, Guy Lapointe et une belle brochette des grands du hockey vont lui rendre hommage. Malheureusement, il ne reste qu'une poignée de billets. Quand je dis poignée, c'est moins de 20 places. C'est Pierre Paquette, d'Imavision, qui est derrière l'événement. Vous aurez deviné que son idole a toujours été... Guy Lafleur.

Photo: Ivanoh Demers, La Presse

Souvent au Québec, au cours de l'été, les gens venaient saluer avec respect et amour Guy Lafleur, dont le fils Mark souffre du syndrome de Gilles de la Tourette.