Une heure et demie après son incroyable victoire contre Roger Federer, Jo-Wilfried Tsonga flottait encore sur un nuage.

«C'est tellement exceptionnel de vaincre de cette façon un grand numéro un mondial comme Roger Federer, comment ne pas être encore étourdi?» a-t-il dit en s'avançant sur le court central pour une petite cérémonie. On honorait quelques humbles journalistes qui ont couvert les Internationaux du Canada depuis la première présentation, en 1979, et qui ont montré un grand intérêt pour le tennis au fil des ans. Si on avait pensé aux photographes, notre Bernard Brault aurait été le cinquième invité à accompagner Tsonga.

«Qu'est ce que je me disais quand Roger a pris les devants 5-1 dans le troisième set? De m'accrocher, de jouer point par point en espérant que quelque chose se passe», a eu le temps d'ajouter Tsonga.

Le grand Français était heureux. Comme joueur, il venait d'accomplir un exploit que je n'avais jamais vu auparavant: battre un champion du monde, le numéro un, après avoir tiré de l'arrière 1-5 dans le troisième set. Si c'est déjà arrivé au parc Jarry, je ne m'en souviens pas.

Et pourtant, des grands matchs et des grands champions, j'en ai vus!

Trente ans. Trente ans de tennis. Ils sont passés au parc Jarry. Ivan Lendl, John McEnroe, Stephan Edberg, Mats Wilander, Boris Becker, Pete Sampras, Andre Agassi, Rafael Nadal, Roger Federer. Ils ont donné des émotions inoubliables à des fans qui n'avaient que 12 ans la toute première fois et qui vivent maintenant leur crise du démon du midi en reluquant les belles filles au stade Uniprix.

Trente ans et ça ne cesse jamais de s'améliorer. John Beddington, grand Anglais un peu pincé, aura été le vrai boss pendant des années. Avant que Richard Legendre ne prenne le tournoi en main et le propulse dans une autre dimension en pilotant le projet d'agrandissement avec Jacques Ménard, Jean-Paul Blais de Du Maurier et d'autres héros.

C'est maintenant Eugène Lapierre qui tient le tournoi bien en main. Et il a la poigne solide. Il est capable de faire face à une armée de talibans sans cligner des yeux. Et en gardant le sourire. Cette semaine, il vit à la fois un rêve et un cauchemar. Un rêve parce que c'est un tournoi merveilleux, extraordinaire, fabuleux, le plus beau depuis des années. Pour ne pas dire en 30 ans.

Faut dire que les Montréalais se sont fait mouiller sur la tête tout le mois de juillet, qu'ils ont été privés de leur Grand Prix de Formule 1 et qu'ils vivent dans une ville qui montre des signes inquiétants de délabrement. Et arrive la semaine de la Coupe Rogers et on a droit à la plus belle chaleur et au plus souriant soleil depuis des lunes (soleil et lune dans la même phrase, c'est quand même pas mal).

En plus, faut-il le souligner, les amateurs de tennis sont les plus beaux partisans qu'on puisse souhaiter. Ils n'auraient pas dû huer le premier ministre Jean Charest, qui était parmi les invités, parce qu'on ne hue pas la visite. C'est plus efficace de voter contre lui si on est mécontent. Pour le reste de la semaine, rien à dire de négatif, que des félicitations.

Et le cauchemar d'Eugène? Hier soir, il avait vendu 197 000 tickets. Il n'en reste plus. Et les bonzes et jet-setteux du Québec et même de Toronto l'achalent. Ils sont prêts à payer le gros prix. Tellement qu'hier, on se demandait à Tennis Canada s'il ne faudrait pas acheter discrètement quelques billets des scalpeurs. Ce n'est qu'une rumeur, il va sans dire.

Federer est battu, Novak Djokovic aussi. C'est normal que de grands favoris tombent quand les huit meilleurs au monde s'affrontent en quarts de finale. Du jamais vu dans l'histoire des Masters. Les joueurs qui les ont battus sont de vrais bons joueurs. Andy Roddick n'avait que 16 ans quand il est allé convaincre lui-même des investisseurs de miser sur lui. Ils ont mis 1 million dans la caisse et Roddick est parti à la conquête de la planète tennis.

Mettons que le million a été remboursé.

Et qu'aujourd'hui Roddick contre Nadal, ça serait le pied total. Si Nadal a gagné hier en fin de soirée, évidemment!

Et Scott Gomez?

Paul Arcand, grand amateur de hockey, se demande ce qu'il faut penser de Scott Gomez. Jean Charest, lui, n'a pas ce problème: il ne sait pas qui est Scott Gomez. Personnellement, ça me rassure: ça veut dire que le premier ministre n'a pas de temps à consacrer à des futilités. Justin Trudeau n'a pas été invité à se prononcer.

Un fefan m'a demandé cette semaine ce que je pensais de Scott Gomez. Je n'en pense rien. On est au mois d'août, Nadal et Federer se remettent d'un printemps exigeant en jouant à Montréal, il fait beau, j'ai fait 2500 kilomètres sur ma Kawa la semaine dernière et je connais le prix de vente du Canadien. Ça fait que Scott Gomez, j'en pense ce qu'en pense le premier ministre. Aucune idée. Je vais m'informer, je vais contacter des personnes qui le connaissent bien et quelque part en septembre, je vous dirai dans La Presse ce que j'en pense. Ça va coûter une piastre avec le pourboire pour le savoir. Faut bien vivre.