«C'est le capitalisme qui s'exprime dans son essence», s'est exclamé hier un des acteurs principaux de la grande bataille que se livrent les grandes corporations pour mettre la main sur le Canadien.

Il faisait allusion à la guerre de tranchées entre Quebecor et BCE, deux grandes entreprises qui ont leur siège social à Montréal. Les deux entreprises de communications ont des intérêts énormes à défendre et des retombées tout aussi importantes à aller chercher dans cette guerre. Sans parler des profits du joyau de Gillett.

Bell a racheté le nom du Centre Molson il y a quelques années. À l'origine, c'était un contrat de 100 millions pour 20 ans. On sait que George Gillett a escompté le contrat à New York pour une somme au comptant d'environ 70 millions. La meilleure façon pour BCE de protéger son acquis est évidemment de mettre la main sur le Canadien, le Centre Bell et le Groupe Gillett. Comme c'est la meilleure façon de protéger l'investissement de la compagnie dans RDS. Hier, un autre acteur dans le feuilleton a été limpide: «Penses-tu que Pierre Karl Péladeau va endurer RDS dans ses platebandes s'il achète le Canadien?» a demandé mon interlocuteur.

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Il se peut toujours qu'un groupe américain ou étranger mette la main sur le Canadien. On connaît au moins un troisième acteur qui est représenté à Montréal par l'avocat et banquier Michael Fortier. Et il est tout aussi actif. Mais pour l'instant, BCE-Savard et Quebecor semblent en bonne posture. C'est quand même rassurant de voir que deux groupes québécois et canadiens sont en mesure de rapatrier une institution aussi vitale que le Canadien. «Il y a 10 ans, aucune entreprise n'avait été en mesure d'acheter le Canadien. On l'a laissé partir à un prix d'aubaine. Cette fois, malgré les circonstances financières difficiles, on a deux compagnies qui sont au plus fort de la lutte. Pour moi, c'est déjà valorisant. Il faut juste espérer que la meilleure entreprise réussisse», a dit un personnage engagé dans le dossier.

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Les informations circulent au compte-gouttes. Pour obtenir une certitude, il faut souvent joindre trois ou quatre sources et garantir l'anonymat absolu. Juste dans la journée d'hier, j'ai pu valider des infos auprès de trois acteurs importants dans la vente.

Même en promettant le «off the record» le plus crédible, on récolte des généralités. Et ces acteurs contredisent souvent ce que des sources périphériques ont laissé couler. C'est encore arrivé hier.

Il y a aussi des leçons à tirer de la vente du Canadien à Gillett il y a une dizaine d'années. À l'époque, tous les projecteurs étaient braqués sur BCE et sur Stephan Bronfman. Et sur René Angélil, que Dan O'Neil, président de Molson, avait sondé en évoquant un prix de vente dépassant les 400 millions. Angélil n'a reçu l'offre de 250 millions faite à Gillett qu'une fois sa décision prise de ne pas poursuivre ses démarches pour acquérir le Canadien. Mais qu'on se rappelle comment tout le monde avait été surpris par l'entrée de Gillett lors de la conférence de presse. Il était un pur inconnu que personne n'avait vu venir. Il faut se méfier, rien ne dit qu'on n'assistera pas encore une fois à un scénario semblable.

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Dernier point. On craint comme la peste, chez les parties mêlées à la vente du Canadien, que George Gillett ne soit en train de se servir des offres d'achat et de ces négociations pour sauver son empire en le refinançant. Un autre de nos acteurs: «On craint que M. Gillett ne retourne voir ses banquiers en leur montrant les offres d'achat obtenues pour le Canadien et le reste. Il pourrait les rassurer sur la valeur de l'équipe et du Centre Bell, et ainsi obtenir un autre de ces prêts dont il a eu le secret au cours de sa carrière. S'il a une offre d'au moins 400 millions, c'est beaucoup plus facile d'établir une valeur encore plus élevée pour garantir un emprunt. Ce n'est pas pour rien que Gillett n'a toujours pas déclaré publiquement que le Canadien était à vendre. Il faut se méfier de cette option.»

Évidemment, il peut être frustrant de lire tous ces textes où on ne peut donner le nom des sources. Mais c'est le prix à payer pour avoir un minimum de données et d'infos, puisque tous ceux qui sont mêlés aux négociations ont signé des ententes de confidentialité.

Si la vente a lieu en juin, on estime que le «closing» pourrait avoir lieu avant la fin de juillet. Hasard sans doute, c'est le 25 juillet que M.Gillett doit rembourser certains de ses prêts.

DANS LE CALEPIN Guy Carbonneau a passé quelques jours à Sept-Îles, sa ville natale. Partout où il est allé, il a été accueilli comme un héros... qu'on se permet de saluer et d'approcher avec une belle familiarité.