L'entêtement de la direction du Canadien à faire fi du bon sens dans l'affaire Butch Bouchard est en train de provoquer un dérapage important de leur opération de marketing visant à honorer certains anciens grands joueurs.

Sans doute que la décision partait d'une bonne intention, mais Pierre Boivin et Ray Lalonde, les deux patrons de l'opération, ne pourront se réfugier encore longtemps derrière un comité fantôme formé de 12 «fantômes « qu'ils refusent d'identifier. Trop de vices apparaissent maintenant pour qu'on puisse espérer laisser retomber la poussière.

Soit dit en passant, pas plus tard qu'hier midi, chez Ferrera, un banquier on ne peut plus crédible et prestigieux fulminait et clamait son indignation devant le sort réservé à l'ancien capitaine du Canadien. Au même moment, à la Chambre des communes, Michel Guimond, député du Bloc québécois, se levait pour affirmer que son parti soutenait la famille Bouchard dans ses démarches pour que le Canadien retire le chandail de l'ancien défenseur du Tricolore et qu'on l'honore avec les autres grands parce qu'il appartenait à cette lignée des bâtisseurs de la dynastie.

Quand un banquier qu'on ne peut soupçonner d'être péquiste ou bloquiste et un député du Bloc partagent la même indignation, il y a une question fondamentale que MM Boivin et Lalonde ne peuvent ignorer.

(Quant au gentil fan qui m'écrivait hier matin en disant que Butch Bouchard n'avait jamais gagné le trophée Norris, je voudrais l'informer que le trophée Norris a été instauré après la retraite du numéro 3 du Canadien. Difficile de gagner un trophée qui n'existe pas encore. Ainsi, Maurice Richard n'a jamais gagné le trophée Maurice Richard, même les fefans l'auront deviné. )

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Cet entêtement incite à la réflexion. Si on est injuste envers Butch Bouchard, que se passe-t-il dans d'autres situations ? Et on réalise que dans leur désir sans doute légitime d'honorer certains grands joueurs et certains favoris, on détruit de belles légendes qui font partie de l'histoire du Canadien de Montréal.

Prenez le Big 3. Larry Robinson, Serge Savard et Guy Lapointe ont formé le meilleur trio de défenseurs de l'histoire de la Ligue nationale de hockey. Depuis plus de 30 ans, à toutes les fois qu'on retrouve trois grands défenseurs dans une même équipe, on se demande si on a enfin un nouveau Big3. La dernière fois, c'est arrivé avec les Ducks d'Anaheim.

En s'entêtant à ne pas retirer le chandail de Guy Lapointe, on piétine un trio légendaire et on le détruit. Il ne peut y avoir de Big 3 si des fantômes membres d'un comité fantôme, ont décidé que ce n'était plus qu'un Big 2 formé de Larry Robinson et de Serge Savard.

C'est une autre injustice qu'on ne peut comprendre. Et les lecteurs connaissent déjà l'admiration et l'amitié que j'éprouve pour Serge Savard. Et il n'est pas question de diminuer les mérites de ce grand défenseur.

Sauf que toutes les statistiques l'indiquent. Guy Lapointe était au moins aussi bon que le Sénateur et se comparait à Larry Robinson. Guy Lapointe a disputé 894 matchs contre les 1040 de Savard. Il a marqué 171 buts et récolté 451 passes pour 622 points contre les 106 buts de Serge et ses 439 points. Il détient le record de buts pour un défenseur du Canadien avec 28 buts. Il compte trois saisons de plus de 20 buts, trois saisons de plus de 68 points, six de plus de 50 points, une demi-douzaine de Coupe Stanley. Il fut un joueur dominant et un Glorieux loyal et généreux. En plus, pendant que Robinson et Savard jouaient toujours ensemble, Pointu se contentait toujours du quatrième défenseur, qu'il s'agisse de Bill Nyrop, Pierre Bouchard ou Don Awrey.

Vous en voulez une gaffe monumentale, vous l'avez. On a détruit le Big 3 pour en faire un Big 2 en diminuant le troisième membre de ce formidable trio de défenseurs. En refusant de le reconnaître comme un grand pour des raisons fantômes. Prises par des fantômes au sein d'un comité fantôme.

Et en brisant le coeur d'un grand joueur et d'un homme bon. En rendant mal à l'aise ses anciens partenaires le Bird et le Sénateur. Eux savent que leur Pointu mériterait d'être avec eux. Comme dans le temps de la légende.

À partir d'une bonne intention, on a ouvert une boîte de pandore et on a même trouvé le moyen de dévaluer tant le Temple de la renommée que les chandails accrochés au plafond du Centre Bell.

Comment ? En créant les bronzes. Les quatre statues de bronze honorant Howie Morentz, Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur.

La soif de dénicher des stunts publicitaires et de marketing a conduit le Canadien à l'absurde. Au début, il y avait le Temple de la renommée. Ce n'était pas assez, on a retiré quelques chandails de joueurs d'exception. On a voulu célébrer et fêter la tradition et on s'est mis à retirer des chandails pour des joueurs, valeureux et bons certes, mais pas nécessairement légendaires.

Pour se rattraper, on vient d'inventer un troisième niveau de grands honneurs. Les statues de bronze.

Dans le fond, un chandail ce n'est plus assez. Le vrai honneur, c'est la statue.

La famille d'Émile Bouchard est raisonnable de demander le retrait d'un chandail. Elle aurait pu exiger un bronze !