«Ç'avait été une vraie partie. Bill Ezinicki s'était battu avec Maurice Richard pendant le match. Les deux s'étaient déjà battus pendant les séries éliminatoires le printemps précédent et il avait fallu que les arbitres soient très sévères pour que la partie ne dégénère pas. On avait battu les Maple Leafs de Toronto 4-3 et on était très fiers du résultat.»

Ça se passait le 13 octobre 1947. C'était le tout premier match des Étoiles présenté par la Ligue nationale, nonobstant le match organisé pour venir en aide à la famille d'Ace Bailey, mort pendant un match dans les années 30. Des 12 joueurs sélectionnés pour le match sur les équipes d'Étoiles, ils ne sont plus que deux encore vivants. Milt Schmidt et Émile «Butch» Bouchard, l'ancien capitaine format géant du Canadien. Le numéro 3 avait été sélectionné sur la première équipe d'Étoiles du tout premier match.

 

«Nous étions quatre du Canadien. Maurice Richard, Kenny Reardon, Bill Durnan et moi. Nous avions voyagé en train avant le match pour retrouver nos coéquipiers d'un soir. Nous affrontions les gagnants de la Coupe Stanley et tous voulaient les battre. Et eux de même», se rappelle M. Bouchard.

L'ancien capitaine a 89 ans et demi. Il me reçoit à sa résidence avec Marie-Claire qui, vive comme une source fraîche, apporte précisions et commentaires aux anecdotes et aux souvenirs de son mari. Elle précise avec humour qu'à l'époque, il n'était pas question que les femmes des joueurs les accompagnent pour un match des Étoiles: «Dans ce temps-là, on ne voulait pas nous voir dans les parages. On ne m'a jamais offert un café pendant toutes ces années où j'allais voir jouer mon mari au Forum», dit-elle.

Les journaux de l'époque confirment les souvenirs de M. Bouchard. La manchette du Standard dit: «Des superstars du hockey valant un million de dollars offrent une classique furieuse sur la glace de Toronto.»

Dans son texte, Andy O'Brien raconte: «La collection de stars offrait le spectacle d'une partie meurtrière et «slamgang» qui ressemblait plus à une partie de finale de la Coupe Stanley qu'à un match hors-concours de pré-saison pour des fins de charité. Bill Ezinicki a poursuivi sur sa lancée de la finale en s'attaquant à Maurice Richard. Big Butch Bouchard est rentré dans Ezinicki pour le remettre à sa place. Ken Reardon déclarait la guerre à tout ce qui portait un chandail des Maple Leafs»...

Le jeu fut tellement dur que Bill Mozienko, la vedette des Blackhawks de Chicago, s'est fracturé une cheville.

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C'était le 13 octobre. La saison débutait le 16. Trois jours plus tard. Et quand Rocket Richard et Butch Bouchard s'étaient présentés pour jouer à Toronto, ils étaient sans contrat.

Le 15 octobre, Richard et Bouchard, après une discussion avec le coach Dick Irvin, décidaient de s'asseoir pendant l'exercice du Canadien: «Moi, j'étais décidé. Je gagnais 6000$ par année et je voulais 10000$. Maurice voulait une augmentation lui aussi. Pendant l'exercice, le directeur général Tommy Gorman est venu nous voir pour nous demander d'aller voir le propriétaire, le sénateur Raymond. En nous ordonnant de ne pas le faire mal paraître. Je suis entré le premier. J'ai tenu mon bout. À la fin, il m'offrait 9500$, plus 400$ sous la table. J'ai refusé. J'ai voulu sortir mais il tenait sa main sur la poignée de la porte. Finalement, il a dit qu'il rajoutait le 100$. Ça s'était plutôt bien passé. J'ai attendu Maurice. Lui, il en a lâché des «Christ» pis des «tabarnak». Maurice avait tout un caractère quand il se fâchait. Finalement, il est venu me rejoindre et on est retournés à la pratique qui prenait fin. Moi, je me suis contenté d'une poignée de main. Je pense que Maurice a signé une feuille de papier le lendemain juste avant la partie.»

Autre temps, autres moeurs.

Pendant la saison, les Maple Leafs et le Canadien se sont affrontés à plusieurs reprises. Est arrivé ce qui devait arriver: «J'ai flanqué une maudite bonne volée à Ezinicki. C'était le 19 février 1948», dit-il. Marie-Claire, qui n'en rate jamais une, précise: «On peut pas l'oublier, notre Pierre est né le lendemain, le 20 février. Quand tu es venu me voir à l'hôpital, les docteurs te félicitaient tous.»

Autre temps, mêmes moeurs.

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Assis dans son fauteuil, l'ancien capitaine et président des Royaux raconte plein d'histoires en souriant. On sent tellement d'amour et d'amitié dans sa voix quand il parle de Maurice Richard, de Doug Harvey, de Toe Blake, d'Elmer Lach, de Boum Boum Geoffrion qu'on dirait que ses traits burinés et gravés par les années se mettent à rajeunir. Et on réalise que ce colosse qui a fait partie de plusieurs équipes d'Étoiles, qui est membre du Temple de la renommée, qui fut propriétaire d'un restaurant boulevard de Maisonneuve employant 82 personnes, homme droit et très nationaliste qui tenait tête aux propriétaires de l'époque, était bien plus qu'un joueur de défense. Si Maurice Richard était le coeur du Canadien, si Toe Blake en était les tripes, alors Émile «Butch» Bouchard était la colonne vertébrale de l'équipe. Celui qui ne pliait pas.

Il rit: «J'ai plié une fois. Après mon dernier match, après la conquête de la Coupe Stanley de 1956, les joueurs ont reçu 1000$ en récompense. Pas moi. Je suis allé voir Frank Selke, le directeur général. Toi, t'as assez fait d'argent avec le club, t'auras pas ton 1000$. Mon restaurant marchait fort, j'avais joué pour faire plaisir à Toe Blake qui me l'avait demandé, j'avais manqué plusieurs matchs. Je l'ai regardé et je me suis que son 1000$, il pouvait bien se le mettre là où je pensais.»

Dommage qu'on lui refasse le coup 52 ans plus tard avec le chandail no 3!