Le plan pour cette chronique était simple et limpide. Puisque le président Barack Obama sera investi aujourd'hui à Washington, un jour historique s'il en est un pour tous les Noirs du monde, j'avais décidé de raconter comment dans les années 50, c'était un évènement quand Herbie Carnegie des As de Québec venait jouer contre les Saguenéens de Chicoutimi au Colisée.

Bien sûr, il y avait Jean Béliveau. Mais Béliveau, lui, était blanc. Alors que Carnegie, lui, était noir. Pour un enfant de 7 ou 8 ans, un Noir à Chicoutimi, c'était déjà plus incroyable que les exploits de Béliveau, de Jean Marois devant le but et de Ludger Tremblay, le frère aîné de Gilles Tremblay.

Un Noir, ça se pouvait quasiment pas. Ça n'existait que dans les livres. Surtout, qu'il n'y avait pas encore de télévision au Saguenay et qu'il fallait avoir 16 ans pour entrer au Cartier, le cinéma de la rue Racine.

Puis, un dimanche après-midi, je l'ai vu jouer. Il était rapide, tellement que Gerry Claude, notre gros joueur de défense, était obligé de l'accrocher pour l'arrêter.

C'était en début d'après-midi. Hier. Puis, vers trois heures, Georges Laraque m'a rappelé. Je lui ai parlé de la chronique que je préparais. Je lui ai dit que ti-gars, j'avais vu jouer Herbie Carnegie: «Herbie Carnegie? M. Carnegie, je le connais bien. C'est mes racines, je ne pouvais pas l'ignorer. Je suis allé le rencontrer à Toronto. Il a écrit un livre, A Fly in a Pail of Milk (Une mouche dans un seau de lait). C'est un grand monsieur. C'est une de mes idoles. J'ai aussi rencontré Willie O'Ree, qui a joué pour les Bruins de Boston. C'est le premier Noir à avoir joué dans la Ligue nationale», a raconté Laraque, avec un mélange de respect et d'excitation dans la voix.

Ce matin, Big Georges ne pourra pas regarder en direct la prestation de serment de Barack Obama. Mais il va enregistrer l'émission. Comme il l'a fait avec le concert donné dimanche à Washington. Laraque ne pourra pas suivre la cérémonie parce qu'il sera dans une école du quartier Saint-Michel où le Canadien va inaugurer une patinoire extérieure: «Ça me fait chaud au coeur d'y être. Je tiens à essayer d'être une inspiration pour les jeunes qui veulent faire du sport et surtout jouer au hockey», dit Laraque.

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Ils sont presque une vingtaine de Noirs à jouer dans la Ligue nationale de hockey. Francis Bouillon, un mulâtre, fait partie du nombre. Souvent, on pense à Donald Brashear ou Réginald Savage, qui fut un premier choix des Capitals de Washington, ce sont des enfants qui ont été adoptés par des familles blanches. D'autres sont mulâtres. Il faut réaliser que le hockey est un sport onéreux et que la majorité des familles noires au Québec et au Canada n'a pas toujours eu un revenu permettant d'investir dans des équipements de hockey ou dans une ligue de développement. C'est une situation qui se corrige mais il y a encore, malheureusement, une différence entre les revenus de la majorité et ceux des minorités: «J'ai été chanceux. Mon père était ingénieur et avait un MBA quand il a quitté Haïti. Il a décroché un bon emploi dans une usine. Ma mère est infirmière depuis plus de 30 ans. L'argent n'a pas été facteur quand j'ai eu le goût de jouer au hockey», explique Laraque.

Il insiste beaucoup sur les modèles qui servent d'inspiration: «Le hockey est encore un sport de Blancs. Pendant mon hockey mineur, un jeune Noir était tout seul dans une équipe de jeunes Blancs. On sait à quel point les jeunes aiment se regrouper et se fondre à la bande. C'est normal qu'ils regardent du côté du basketball ou du football où ils vont s'identifier aux héros noirs. Et puis, quand il n'y a pas beaucoup d'argent dans la famille, ça coûte une paire de baskets et on peut jouer. Ça demande de plus gros sacrifices pour faire jouer un jeune au hockey. Mais il y a plus de Noirs dans la Ligue nationale et ils vont attirer les jeunes pour qui ce sera plus facile de s'intégrer dans leur équipe de hockey mineur», dit-il.

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Prendre le temps d'une vraie conversation avec Georges Laraque est un congé dans une journée de travail. Il est intéressant et réfléchi et ne craint pas d'émettre une opinion bien sentie. Au détour d'une phrase, il m'a évidemment parlé de Jean-Charles Lajoie et de Michel Villeneuve. Rien de bien méchant. Dans le fond, un haussement d'épaules: «Ce qui peut se dire, ça n'a pas vraiment d'importance. Ce qui compte, c'est les coéquipiers et les partisans qui nous encouragent dans nos efforts. Le reste, ça passe», dit-il. J'ai évidemment résumé l'échange en espérant avoir gardé l'essentiel.

Et son dos? Ça fait longtemps qu'il a mal au dos. Et la direction du Canadien savait qu'il avait des problèmes de disques: «Mais ça va mieux. Je devrais être capable de recommencer à jouer après le match des Étoiles», a-t-il conclu.

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J'ai vu jouer Herbie Carnegie dans l'uniforme vert des As de Québec. Ou comme on dirait au comité olympique de Vancouver, dans l'uniforme des Quebec Aces. Ça coûtait cinquante cents dans la section des millionnaires.

Je m'en souviens encore cinq décennies plus tard.

Si Georges peut revenir au jeu, y a combien d'enfants qui vont le voir jouer et qui vont s'en souvenir pour des années et des années?

Et qui vont se rappeler que même si on est plus grand et plus fort qu'un plus petit, ce n'est pas une raison pour le «tapocher» et lui faire mal.

Et qu'il y a un code d'honneur dans la vie que les gentlemen respectent même quand ils font la guerre sur une patinoire.

Ça aussi, c'est servir de modèle.

Les noirs dans la LNH

Francis Bouillon, Canadien

Donald Brashear, Capitals

Dustin Byfuglien, Blackhawks

Trevor Daley, Stars

Nigel Dawes, Rangers

Andre Deveaux, Maple Leafs

Mike Grier, Sharks

Jarome Iginla, Flames

Derek Joslin, Sharks

Georges Laraque, Canadien

Jamal Mayers, Maple Leafs

Johnny Oduya, Devils

Kyle Okposo, Islanders

Bryce Salvador, Devils

Wayne Simmonds, Kings

Anthony Stewart, Panthers

Joel Ward, Predators

Kevin Weekes, Devils

* Seuls les joueurs présentement dans la LNH ont été retenus.