Tout était à faire. Tout. Mais cela n'a pas freiné l'ardeur des moniteurs du Cirque du Soleil qui s'activent au Burkina Faso. L'objectif: construire un chapiteau dont on espère qu'il insufflera de la vie en banlieue de la capitale du Burkina Faso. Notre journaliste Réjean Tremblay en revient. Il nous raconte cette singulière expérience.

Il n'y a plus d'asphalte depuis un moment. Tout est rouge, tellement que si la NASA veut tourner la première visite des Américains sur Mars, il n'y a qu'à venir à Ouagadougou.

 

En fait, ce n'est plus tout à fait Ouaga. On m'avait dit: de l'autre côté du marché de bétail. Une place immense où les musulmans achètent leur mouton pour la grande fête du 9 décembre. Sinon, on achète des chèvres et des ânes. Il y a beaucoup d'ânes dans les rues de Ouagadougou. C'est la hiérarchie. À pied, derrière un âne avec une petite charrette, en vélo, en mobylette et, enfin, en voiture. Et ça roule. Les granoles de la Ville de Montréal qui inventent de nouveaux «stops» chaque jour seraient fous en 20 minutes.

Une petite affiche indique qu'on est au centre de service social. Je cherche les bâtiments. Je vois une cour où des enfants de 2 à 12 ans s'amusent avec des animateurs. J'y suis. Il y en a même une bonne vingtaine qui font de timides chorégraphies derrière trois instructeurs, Jean-Paul, Mathias et Dominique le musclé. Ce sont trois instructeurs du Cirque du Soleil. Le jeudi, ils viennent enseigner aux enfants quelques éléments des arts du cirque.

On reviendra au centre. Je remonte dans la voiture et on file sur une route grise, pour faire changement, bordée de «maisons» en blocs de terre séchée. C'est là-dedans que vivent les familles du quartier. À mi-parcours dans la rue, on aperçoit le toit du chapiteau.

L'immense tente est installée dans un vaste champ désert. Elle est solidement ancrée dans une dalle de béton. Reste à installer les gradins d'un côté et les bureaux où les moniteurs pourront travailler dans de bien meilleures conditions. Juste à côté, une autre tente, fermée, qui servira de dortoir aux moniteurs qui ne peuvent se déplacer.

Estelle Nikiema se tient sous le chapiteau et regarde le champ devant elle: «C'est tellement irréel. Nous avons attendu quatre ans l'arrivée et le montage du chapiteau. Ça donne des ambitions pour les enfants», dit-elle, les yeux brillants.

Drissa Bamago, son camarade, ajoute: «Il n'y avait rien, ici, c'était un marécage asséché. Avec l'aide de Jeunesse du monde et de Cirque du monde, nous allons transformer ce champ. Il va y avoir un potager pour les femmes, un terrain de sport pour les enfants, des bureaux et un dortoir pour les moniteurs. Vous n'avez pas idée de ce que c'est, pour le Burkina. Nous sommes choyés», dit-il.

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C'est un journaliste burkinabè qui m'a parlé du chapiteau arrivé il y a quelques semaines à Ouagadougou. J'ai appelé Daniel Lamarre, le président du Cirque du Soleil, qui m'a expliqué un peu de quoi il s'agit. Il m'a dirigé vers Gaétan Morency et Michel Lafortune, responsables du programme Cirque du monde. On sait que le Cirque du Soleil consacre 1% de ses revenus à des fins caritatives. Un des moyens mis en oeuvre par l'entreprise est le Cirque du monde. Au Burkina Faso, on a fait encore plus en y faisant installer un immense chapiteau: «On travaille avec les gens du milieu, surtout avec Jeunesse du monde. Nous sommes partenaires dans différents projets. Nous sommes aussi à Cali, à Santiago, où nous avons des écoles de cirque. L'objectif n'est pas de former des artistes professionnels, mais de se servir des arts du cirque pour aider les enfants à se développer», m'a expliqué Gaétan Morency.

Michel Lafortune a été plus précis: «Le chapiteau va devenir une place publique pour la communauté. Les gens vont pouvoir être fiers. Et les enfants auront un objectif. Peut-être qu'ils pourront y faire une démonstration de ce qu'ils auront acquis.» C'est lui qui m'a donné les noms et les numéros de téléphone des trois responsables du projet au Burkina Faso.

Ce jeudi-là, c'était justement la visite des moniteurs du Cirque. Ils participent à six projets communautaires. Ils visitent chaque jour les centres sociaux du grand Ouaga, visite attendue avec impatience. On entendait des cris joyeux et on pouvait admirer les efforts des enfants pour réaliser les figures très simples qu'on leur demandait.

Il y a des centaines d'enfants. Même les moniteurs perdent le compte. Parfois, ils sont orphelins, parfois abandonnés. Une majorité d'entre eux éprouve des problèmes de comportement. On les appelle des enfants nécessiteux. Le poids de trop de misère sur leurs frêles épaules.

On entendait des cris joyeux. Les enfants jouaient dans la cour. D'autres, trop petits pour se mêler aux jeux des plus grands, entouraient une belle blonde à l'air un peu fragile. Elle s'appelle Sarah Bédard-Dubé. Elle travaille pour Oxfam-Québec et pour le Cirque en collaboration avec Jeunesse du monde et les services sociaux burkinabè qui gèrent le projet. Ça fait trois ans qu'elle est à Ouagadougou. Avant, elle a travaillé au Cameroun, au Liban, au Honduras et avec les Inuits. Toujours pour Cirque du monde: «Quand je suis entrée au Cirque du Soleil, je ne pensais pas que je trouverais cette voie», dit-elle en caressant la tête d'une toute petite fille.

Sarah, Estelle et Drissa m'ont parlé avec une conviction de convertis: «L'objectif, ce n'est pas de faire des enfants des artistes ou des acrobates. L'objectif, c'est de leur donner confiance. Et ça marche. Vous savez, les arts du cirque, c'est la concentration, l'équilibre, l'estime de soi, la coordination, la concertation. Ce qu'ils font avec le Cirque aide beaucoup les éducateurs. On les voit progresser à vue d'oeil», explique Drissa Bamago, qui est travailleur social.

Quand on a fini de monter la base du chapiteau, les moniteurs du Cirque se sont fait un formidable cadeau. Ils ont donné un spectacle, le tout premier, aux enfants du centre. Ce fut un succès boeuf.

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Le Cirque est une étrange contradiction. Guy Laliberté joue des millions au poker, il se déplace dans son jet privé, et ses grands spectacles sont installés dans la capitale mondiale du clinquant.

Pourtant, il consacre une fortune à sa fondation pour l'eau. Quant au 1% des revenus qu'il verse en programmes caritatifs liés au développement, c'est 1% qui a du poids quand on parle d'un milliard.

Je ne sais pas si Guy Laliberté, que j'ai croisé des dizaines de fois dans les paddocks de la Formule 1, a pris le temps de venir à Ouagadougou.

L'après-midi, vers cinq heures, quand le soleil torride de décembre baisse sur le Burkina Faso, il verrait le plus beau chapiteau du Cirque du Soleil...

Il verrait l'émerveillement des enfants qui n'ont jamais rien vu d'aussi grand et d'extraordinaire au monde.

Il verrait l'amour...