C'était une belle soirée de juin. Le soleil rougissait les montagnes des Laurentides et la journée de travail était terminée. Les steaks seraient bons. Le téléphone a sonné. «Rej, c'est Patrick Roy. Je te dérange pas trop ?»

S'il me dérangeait ? Bien sûr que non. Patrick appelait de Denver. L'Avalanche avait gagné la Coupe Stanley la veille et j'entendais les rires et les conversations en fond sonore dans la pièce où il se trouvait.

 

«Je t'appelle pour te remercier. Quand le Canadien m'a sorti de Montréal, tu m'as soutenu. Tu m'as dit de cesser de me flageller et ça m'a remonté le moral. Je m'en souviens, je voulais te le dire», m'a dit Casseau.

Ça m'a fait plaisir. Voyons donc. Même si en théorie, un bon journaliste est censé garder une certaine distance avec son sujet, on ne peut pas côtoyer à l'année longue un athlète de haut niveau et un homme aussi intense que Patrick Roy sans tisser des liens qui dépassent la job. Et dans le cas de Patrick, ça faisait longtemps que nos discussions avaient débordé du puck, des pads et du net.

À la même époque, je m'étais lancé dans l'écriture d'une minisérie de quatre épisodes racontant l'histoire d'un gardien de but et de sa vie de couple. La rumeur s'était propagée que ça parlait de Patrick Roy et de sa femme Michèle. Ce qui n'était pas le cas, évidemment.

Mais voilà que ça s'excitait plutôt fort. Tellement qu'à un moment donné, on s'est retrouvés avec son agent Robert Sauvé et cinq de ses avocats à visionner les quatre épisodes du Masque dans une salle de la maison de production Prisma. Mettons que ce n'est pas l'environnement idéal pour regarder de la télé. Ils n'ont pas dit un mot après le visionnement. Moi non plus.

Il n'y a pas eu de suite. Pas de menace, pas d'injonction. Sauf que je n'ai pas eu de nouvelles de Patrick Roy avant les Jeux olympiques de Nagano, deux ans plus tard. Il était distant, c'est le moins qu'on puisse dire. À un moment donné, il a bien fallu faire son travail. Nous étions quelques-uns autour de Roy avant un match. J'ai posé une question. Patrick a hésité une ou deux secondes et finalement a répondu à la question. Sans chaleur et en s'en tenant à l'essentiel, mais il a répondu. Et en me regardant.

Plus tard, je l'ai retrouvé en quelques occasions. C'était super correct. Ce n'était pas la même presque camaraderie d'avant, mais c'était agréable de discuter avec lui et les lecteurs étaient toujours bien informés. Casseau a toujours su comment ça fonctionnait dans les médias. Et il a toujours respecté les amateurs. Il en fait un point d'honneur.

Je suis allé le rencontrer à Québec, avec ses Remparts, dans le dossier sur le dopage dans le hockey junior. On s'est croisés dans un corridor du Colisée. « Te voilà ! Encore en train de brasser de la marde ! « Mais le ton démentait le gras du propos. Il y avait un sourire de bienvenue sincère. Cette fois, j'ai retrouvé la même chaleur que dans ses années avec le Canadien.

Pendant toutes ces années, faut préciser que j'ai gardé un lien d'amitié avec son père Michel, grand fonctionnaire et artiste sensible. Les vraies histoires dans la vie de Casseau, je les apprenais parfois en sirotant un verre sur la vaste galerie d'une maison de campagne dans le fond d'un rang en Estrie. Entre deux conversations sur le jazz, la chanson et la littérature.

Il y a deux mois, j'ai fait un commentaire plutôt sévère sur le procès de son fils Jonathan, accusé d'avoir agressé Bobby Nadeau, des Saguenéens de Chicoutimi. Le lendemain, j'avais un message de Patrick me demandant de le rappeler. Il était dans un autobus en direction du Saguenay quand je l'ai joint. « J'ai entendu ton commentaire à propos de Jonathan l'autre jour. Je t'ai trouvé pas mal dur. Jonathan, c'est encore juste un grand gars qui en a pesant sur les épaules. La prochaine fois, essaie d'en tenir compte, essaie de pas trop l'écraser «, m'a-t-il dit. Sa voix laissait passer la sensibilité d'un père protégeant son fils.

J'ai été ému. On a jasé un peu. Comme dans le temps. Entre hommes. J'ai eu l'impression que la boucle était bouclée.

Son fils Jonathan a maintenant l'âge que Patrick avait quand il a gagné la Coupe Stanley avec le Canadien. Ça aide à réaliser à quel point Casseau était d'une trempe à part...

Ça aide aussi à réaliser que je n'aurai jamais réussi à établir un lien bien plate et linéaire de journaliste à athlète pendant toutes ces années.

En fait, je n'en ai jamais eu le goût...