La seule bonne nouvelle de la journée, c'est que Montréal va peut-être envoyer un message dans le monde de la Formule 1. Peut-être qu'une autre ville, puis une autre et une autre vont dire à Bernie Ecclestone que la planète a changé depuis quelques mois et que les folies de la F1 sont devenues hors de prix même pour un pays où l'économie se porte plutôt bien.

La France et le Canada viennent de le dire. Deux pays membres du G8, deux grands pays industrialisés, deux grands pays où l'automobile fait partie de la vie quotidienne et est souvent une passion, envoient le message. On ne peut plus nourrir le monstre que B'wana a créé.

C'est certain que c'est à pleurer. C'est un deuil énorme pour ceux qui ont vécu dans la Formule 1 depuis 30 ans à Montréal. C'est un deuil pour un chroniqueur qui a parcouru le monde pour couvrir les courses et surtout l'univers humain, social, financier et politique de la F1.

Montréal perd un événement énorme. Le plus important de tous. Celui qui générait le plus de retombées économiques et fiscales. Celui qui permettait à Montréal de rester dans le club sélect des métropoles de la Formule 1 avec Barcelone, Melbourne, Sao Paulo, Budapest, Singapore, Shanghai, Istanbul et les autres et d'avoir accès à un auditoire télévisuel de plusieurs centaines de millions d'amateurs à chaque mois de juin. Montréal devient de plus en plus un gros Fredericton. Il reste les festivals qu'on aime parce que les bonnes gens ont la fausse impression qu'ils sont gratuits.

À moins d'un miracle, le Grand Prix, c'est fini. Pour 2009 et pour la suite des temps.

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On ne peut pas blâmer les hommes politiques qui ont mené les négociations. Ce que Michael Fortier a offert au nom des trois gouvernements, fédéral, provincial et municipal, était correct. Il garantissait à B'wana assez de millions pour justifier une certaine ouverture dans le dossier. C'était quand même 10 millions des taxes des citoyens et des touristes qu'on envoyait à Ecclestone pour son spectacle.

Mais toute la correspondance entre B'wana et les négociateurs mandatés le montre. Ecclestone voulait une garantie bancaire ou gouvernementale de 173576802$ en devises canadiennes. Ces sommes devaient être garanties à la signature de l'entente. On comprend pourquoi Guy Laliberté et George Gillett ont refusé d'embarquer leurs entreprises dans ce piège à cons.

Non seulement Ecclestone exigeait ces $173,6 millions immédiatement mais en plus, il se gardait les revenus de la pub sur la piste et le circuit ainsi que les revenus des loges du paddock. Les revenus de visibilité sur la piste, Ecclestone les avait obtenus de Normand Legault en paiement d'une partie de la dette de l'ancien promoteur.

(D'ailleurs, les chiffres dévoilés hier confirment ce que La Presse a déjà révélé à ses lecteurs. Le déficit du dernier Grand Prix est de 10 millions. Ecclestone a facturé 27 millions pour le plateau alors que tous les revenus de la billetterie, incluant les loges Élite, atteignaient 24 millions. Les autres revenus ayant été cédés à Ecclestone et les dépenses courantes se chiffrant à 7 millions, Normand Legault a fait un déficit de 10 millions. Qui s'ajoutait à quelques millions de déficit des deux années précédentes. Effectivement, le modèle économique était non viable).

Si d'autres gouvernements décident que leurs contribuables peuvent se permettre de payer des dizaines de millions pour le cirque de B'wana, c'est parfait, c'est leur décision. J'estime que 10 millions étaient une somme respectable que les politiciens pouvaient défendre devant leurs commettants. Plus, ça devenait politiquement suicidaire.

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Je ne ferai pas comme le renard dans la fable et je ne dirai pas bon débarras. Et je ne me permettrai pas de diminuer l'attrait et l'importance de la Formule 1 dans le monde ou à Montréal. Après les Jeux olympiques et la Coupe du monde de football, c'est la Formule 1 qui rejoint le plus de téléspectateurs sur l'ensemble de la planète. Malheureusement, Bernie Ecclestone a depuis longtemps décidé que son sport n'avait rien à cirer des passionnés et des pays qui ont assuré le développement économique de cette gigantesque entreprise qu'est devenue la F1.

Michael Fortier a discuté plusieurs fois avec Bernie Ecclestone. Il lui rappelait que la F1 tournait le dos à des revenus assurés d'une quarantaine de millions à Montréal selon la proposition des gouvernements et que surtout, on abandonnait un marché solide et des gradins toujours pleins. Ecclestone répondait invariablement que c'était bien dommage mais que c'était la façon dont la F1 fonctionnait.

En fait, c'est Montréal qui a servi d'exemple au reste de la planète. Le message de Bernie Ecclestone est limpide. Même une ville qui a présenté son Grand Prix pendant 30 ans et qui est la seule survivante en Amérique du Nord n'est pas à l'abri. C'est mes conditions ou la porte. Shanghai vient d'être prévenue. Chinois ou pas, faut faire ce que B'wana veut ou c'est dehors.

Ça va marcher ainsi tant que des villes seront prêtes à faire les quatre volontés d'Ecclestone. Mais les exigences du grand patron de la F1 ne tiennent pas compte d'une nouvelle réalité. La Bourse de Moscou a perdu 60 % de sa valeur, Londres, les Bourses allemandes, l'économie espagnole et même les grandes villes asiatiques sont frappées de plein fouet. Ecclestone fait comme les banquiers américains qui ont coulé la finance mondiale et continue de vendre ses courses comme du papier commercial.

S'il est le seul sur la planète à avoir raison, tant mieux pour lui.

Pour les autres, il reste le deuil à faire. Au moins, les fans de Formule 1 savent une toute petite chose. Bernie Ecclestone et tous ceux qui l'appuient dans les cieux de la F1 se contrefichent des amateurs.

Quant à Normand Legault, on réalise aujourd'hui qu'il aurait dû envoyer promener Ecclestone il y a trois ans. Il a préféré se battre pour lui, pour ses employés et pour sa ville. Une bataille honorable qui lui a coûté 15 millions. Au moins.

J'espère seulement que les fans vont pouvoir s'offrir un week-end de NASCAR pour se consoler.