Barack Obama, président des États-Unis. Novembre 2008. Tous les lecteurs de moins de 40 ans n'ont qu'une connaissance scolaire d'une période toute proche où les Noirs d'Amérique se battaient désespérément pour atteindre un statut de vrai citoyen.

C'était moins terrible au Canada mais aux États-Unis, la discrimination était abominable. Et même dans l'univers doré d'une grande organisation comme le Canadien de Montréal, quand on se baladait partout aux États-Unis, on pouvait ressentir ce qui se vivait sournoisement dans les villes américaines.

 

On se promenait à Boston, à Philadelphie et à New York et le hockey et le basketball se battaient pour dominer le marché des sports d'hiver. J'ai dû entendre au moins 20 fois que jamais la NBA ne devancerait le hockey « parce que les Noirs n'auraient jamais les moyens de payer le gros prix pour voir jouer d'autres Noirs sortis des ghettos». Allusion aux merveilleux joueurs noirs qui prenaient le contrôle du basketball professionnel.

On voit le résultat 30 ans plus tard. Il y a eu Michael Jordan, Magic Johnson et d'autres grands athlètes et aujourd'hui, le basket est un sport planétaire et les coachs et dirigeants noirs ont accédé aux postes de direction.

Le hockey, dont le commissaire était vice-président de la NBA à l'époque, tente de s'implanter aux États-Unis et le succès semble encore bien loin. Me semble que les Blancs auraient le moyen de payer les tickets.

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C'est par la musique et le sport que les Noirs ont entrepris leur longue marche. Des bluesmen comme Robert Johnson ou John Lee Hooker, de grands jazzmen comme Louis Armstrong et Art Tatum ont atteint un statut de légendes... sans avoir accès aux toilettes des Blancs. Mais ils ont joué et chanté partout sur la planète. Des femmes comme Billie Holiday et Ella Fitzgerald les ont accompagnés.

À Chicago et à Memphis, pendant que Ray Charles était barré dans les salles de concert d'Atlanta, de jeunes Blancs écoutaient la musique des Noirs et rêvaient de chanter comme eux. Ils ont pris le blues et le rythm'n blues et ont inventé le rock. La musique des Noirs a envahi toute la planète. Mais on ne savait pas trop d'où elle venait.

C'est toujours la musique ou la littérature qui précèdent les grands mouvements politiques. Félix Leclerc et tous ceux qui l'ont suivi étaient là avant René Lévesque. On a chanté le Québec avant de fonder le Parti québécois.

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Presque en même temps, Jackie Robinson est venu vivre dans la rue de Gaspé, à Montréal, et jouer pour les Royaux. On parle d'une époque où il y avait trois toilettes dans les restaurants de classe. Une pour les hommes, une pour les femmes et une pour les colorés. Dans les restos ordinaires, la bécosse pour colorés était dehors. On parle d'un temps où les femmes enceintes noires devaient céder leur siège dans les autobus ou les trains aux Blancs de 20 ans. On parle d'un temps, le temps du Peace and Love où l'armée américaine devait accompagner les autobus scolaires pour que les enfants noirs aient accès aux écoles des Blancs.

Si vous voulez avoir une idée, c'est le temps où le Canadien affrontait les Maple Leafs de Toronto en finale de la Coupe Stanley. Le centenaire du Canada, 1967. Un an plus tard, on a tué Martin Luther King.

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Les athlètes noirs étaient des croisés. Aux Jeux olympiques de Mexico, Tommy Smith et John Carlos ont levé le poing noir ganté pour clamer le pouvoir noir. Ils ont baissé la tête pour rappeler qu'ils étaient les petits fils d'esclaves.

Pendant que Guy Lafleur et Ken Dryden gagnaient la Coupe Stanley, des centaines d'athlètes noirs adoptaient un nom «musulman» pour s'affranchir. Le plus célèbre étant Cassius Clay qui devenait Muhammad Ali. Les sommaires des matchs de la NBA se lisaient comme une prière à la mosquée tellement les convertis à l'islam étaient nombreux.

Cette lutte a semblé s'affaiblir dans les années 80. Je me rappelle qu'à Los Angeles, un geste de Carl Lewis m'avait frappé. Lewis venait de gagner une médaille d'or et au lieu de lever le poing comme d'autres avaient fait 16 ans plus tôt, il s'était enveloppé dans un grand drapeau américain pour courir un tour du stade. Probablement qu'il estimait que les pas d'émancipation avaient été faits et qu'il pouvait rentabiliser au max ses médailles.

Ce qui n'a pas empêché les athlètes noirs d'afficher leur fierté et de revendiquer un statut égal à celui des Blancs. Les soeurs Williams l'ont fait au tennis et Tiger Woods, le plus grand joueur de golf de l'histoire, a contribué à faire tomber d'autres barrières.

Comme Don King, même si c'est un ancien bandit, l'a fait dans la boxe. De tout temps, les boxeurs noirs se battaient pour des promoteurs blancs. King a été le premier promoteur noir à avoir le pouvoir, à faire boxer des Blancs. Faut dire qu'il a compté sur le soutien de Muhammad Ali pour implanter son empire.

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Tout n'est pas gagné. Mais les chanteuses noires sont les égales des mignonnes blondes. Elles ont le même pouvoir commercial. Les grands acteurs noirs sont des héros dans leurs films. Ils sont forts, bons et intelligents. Ils seraient blancs que l'histoire serait la même. Et la question raciale est souvent exclue des scénarios. Alors que Sidney Poitier, le premier grand acteur populaire noir, était toujours confronté à la question raciale dans ses films. Parce qu'il était noir. Qu'on pense à Devine qui vient dîner.

La société et la politique ont suivi les arts et le sport. Il s'y est livré des batailles tout aussi féroces. Il reste du chemin à parcourir. Les Noirs américains gagnent moins et sont moins instruits que les Blancs. Ça doit être la même chose au Canada et au Québec. Et ils sont en train de devenir la deuxième minorité aux États-Unis derrière les latinos.

Mais en attendant d'avoir un commissaire noir au baseball ou au football, en attendant d'avoir des propriétaires noirs des plus grandes équipes professionnelles, la marche se poursuit. Tout le chemin parcouru a mené à un événement extraordinaire.

Le président des États-Unis est un Noir. Il a été élu par une majorité blanche et son père est un Africain, le continent d'où venaient les esclaves.

Ça valait la peine de faire tous ces voyages et de vivre toutes ces années.