Hier soir, deux grands messieurs ont été acclamés au Centre Bell. Elmer Lach et Émile Bouchard. M. Lach a 90 ans, M. Bouchard va avoir 89 ans.

Ça veut dire qu'Elmer Lach avait une vingtaine d'années quand Howie Morentz est mort. Ça veut dire que le joueur de centre de Maurice Richard et de Toe Blake était déjà dans la Ligue nationale quand de nombreux joueurs de la Ligue nationale ont quitté le hockey et le Canada pour aller se battre en Europe contre les nazis d'Adolf Hitler.

 

Ça veut dire que Lach était déjà là quand le jeune Maurice Richard est arrivé avec le Canadien. Et qu'Émile Bouchard était un jeune homme quand ils ont relancé une concession qui crevait de faim dans un vieux Forum à moitié vide.

Elmer Lach a connu le Québec dans les années 40. Émile Bouchard, le défenseur des Canadiens français à l'époque où ça demandait encore plus de courage qu'aujourd'hui pour se tenir debout, fut un grand capitaine pour le Tricolore.

Hier soir, lui et Lach représentaient sept décennies de souvenirs et d'histoire. Mais qui donc va prendre la peine de recueillir toutes ces anecdotes qui sont encore fraîches dans leur mémoire? Qui va nous parler de ces dîners arrosés quand Marcel Pépin, président de la CSC, Louis Laberge, président de la FTQ, et Yvon Charbonneau, président de la CEQ, se retrouvaient au steak house de «Butch» Bouchard, boulevard De Maisonneuve?

La devise du Québec est «Je me souviens». Et pourtant, rarement un peuple aura-t-il autant enterré son histoire. Camil Desroches, l'ancien secrétaire de route du Canadien, est mort et personne n'a pris trois ou quatre heures pour recueillir ses souvenirs. C'était le plus grand fan des comédies musicales qu'on puisse imaginer. Ce charmant petit homme, tout en délicatesse, se rendait souvent à New York pour faire Broadway. Dans un long week-end, il pouvait s'offrir une dizaine de comédies musicales parmi les plus célèbres. Il se servait de son poste avec le Canadien pour avoir accès aux billets les plus difficiles à obtenir.

Il fut le secrétaire de route du Canadien. C'est lui qui distribuait les 10$ qui servaient à payer la bouffe des journalistes pendant les voyages. C'était avant Pierre Gobeil, c'était avant que les journaux n'assument les dépenses des journalistes. Combien d'histoires avait-il à nous raconter? Elles sont perdues à jamais.

Prenez Jean-Pierre Roy. Le Jean-Pierre de ces dames est connu comme ancien analyste au baseball des Expos à Radio-Canada. Mais le sapré Jean-Pierre a eu une vie fabuleuse. Il a gagné 25 parties pour les Royaux de Montréal, il a affronté les Sugar Canes de La Havane bien avant Fidel Castro et il s'est exilé au Mexique pour y fonder une ligue majeure qui n'a duré que quelques mois. Il a été banni du baseball majeur à cause de cette aventure.

Jean-Pierre doit avoir dépassé les 85 ans. On lui souhaite de vivre jusqu'à 100 ans, mais peut-on prendre le risque de perdre tous ses souvenirs, toutes ces histoires qu'il a vécues?

Je sais qu'il y a la chaîne Historia, qu'il y a Télé-Québec, qu'il y a des producteurs qui tournent quelques biographies par année. Mais on s'attarde sur des noms vendeurs même si le poids historique des sujets n'est pas très lourd. Quand on sait que les sommes versées par le gouvernement Charest à Télé-Québec sont les mêmes qu'en 1983, on comprend qu'il est difficile pour cette télé d'État de remplir son rôle.

Et les chaînes d'Astral sont commerciales. Les préoccupations de leurs dirigeants ne sont pas les mêmes. Déjà, on a fait beaucoup pour sauver une partie de l'histoire du Québec. Mais il y a encore tellement à faire.

Steven Spielberg avait les moyens de prévenir le drame de l'oubli. C'est lui-même qui a défrayé les coûts d'une équipe qui a retrouvé les rares survivants de l'Holocauste pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il a enregistré et filmé leurs mémoires pour que les peuples de la terre n'oublient jamais. Si un autre Hitler se pointe, Spielberg aura ces archives filmées à montrer au monde.

C'est le centenaire du Canadien. L'organisation a prévu de belles et grandes choses. Mais Pierre Boivin pourrait rendre un immense service aux historiens de demain. Si les réseaux de télé et les producteurs sont trop timides, pourquoi le Canadien ne verrait-il pas lui-même à recueillir les souvenirs et les anecdotes de ses plus grands?

Aujourd'hui, c'est Elmer Lach et Émile Bouchard. Mais demain, un très proche demain, ce seront Jean Béliveau, Dickie Moore, Henri Richard et plein d'autres qui auront 80 ans. On veut tous qu'ils vivent très vieux. Mais pourquoi ne pas profiter de leur «jeunesse actuelle»? On a déjà perdu Doug Harvey et Bernard Geoffrion.

Jean-Maurice Bailly et René Lecavalier sont partis. Ils avaient mille souvenirs à partager. Ils sont perdus.

Que Pierre Boivin ne se gêne pas. D'excellents journalistes sont volontaires pour faire le travail. L'histoire canadienne et celle du Québec lui en seraient reconnaissantes.

DANS LE CALEPIN - Voilà que Tonton Bernie frappe de nouveau. Les organisateurs du Grand Prix de France ont annoncé hier qu'ils ne pourraient présenter l'épreuve cette année à Magny-Cours. B'wana détestait Magny-Cours, ça va faire son affaire. C'est à Euro-Disney que la Formule 1 veut aller. Sauf que la date du 28 juin est maintenant disponible et qu'on est tombé à 17 courses en 2009. J'espère que le ministre Michael Fortier sera en fonction encore quelques semaines. Les dés tombent du bon bord...