C'était un moment magique. Dans un meeting de création, il y a quelques mois. On se racontait de belles histoires de sport. Puis, mon confrère Miguel Bujold s'est levé: «Mon premier grand souvenir de sport, c'est le match contre les Rangers à New York que Patrick Roy avait gagné en prolongation. Je devais avoir une douzaine d'années, ma mère avait un bar en Abitibi et elle me laissait l'aider quand je n'avais pas d'école le lendemain. Ce soir-là, je laissais faire les bouteilles sur les tables. J'étais devant la télé et je regardais Patrick Roy battre les Rangers. Je capotais. Dans ma tête d'enfant, il les battait à lui tout seul. Je pense que c'est ce soir-là que je suis devenu un journaliste sportif.»

Et quand Miguel s'enflamme en racontant une histoire, il se lève, mime les situations, accroche tous les regards sur lui et communique sa merveilleuse ferveur comme un grand acteur sur une scène. Sauf que lui, n'a pas besoin de scénario.

 

Juste pour Miguel, Roy mérite que le Canadien retire son chandail. Pour cette soirée merveilleuse d'un p'tit gars de 12 ans dans le bar d'une mère à Rouyn ou à Val-d'Or, j'ai oublié.

Cette même année, moi qui étais déjà un vétéran du métier, j'étais parmi les centaines de milliers de fans qui criaient leur amour et leur dévotion à un grand gringalet debout, torse nu, sur la plateforme d'un camion. Je couvrais la parade. Le bordel était total mais joyeux. Les policiers montaient des Harley dont le moteur figeait à cause de la chaleur et des gens qui les empêchaient de rouler assez vite pour refroidir leur monture. Toute la grande métropole s'était donné rendez-vous rue Sainte-Catherine.

Bob Gainey, Larry Robinson, Bobby Smith et les autres étaient acclamés. C'est certain. Mais le jeune Casseau, maigre comme un clou malgré les tonnes de frites qu'il avait avalées, était déjà le maître de la parade.

Il avait 20 ans.

Il en avait 30 (plus ou moins des poussières) quand il a quitté le Canadien en envoyant promener les fans qui le huaient un soir d'humiliation.

Entre-temps, il avait gagné deux fois la Coupe Stanley et établi une formidable carrière. Il avait gagné des séries à lui tout seul, il s'était battu dans le vestiaire avec Matthieu Schneider, il s'était imposé comme un leader qui ne cédait la pole qu'à Guy Carbonneau.

Entre-temps, le gringalet était devenu un homme. Il est passé des folles acclamations aux huées injustes. Il va revenir le 22 novembre sous les acclamations et l'histoire sera enfin récrite.

La dernière fois que Roy avait tenu une conférence de presse dans l'organisation du Canadien, c'était au Sheraton de Laval. Le lundi soir. Il était tendu comme une corde de violon et tentait de se limiter aux lignes que lui avaient préparées les spécialistes de National. C'était les mêmes spécialistes qui avaient préparé les déclarations du Canadien et comme leur pain et leur beurre étaient avec la Flanelle, Patrick avait passé l'heure à se flageller et à s'excuser.

Hier, il n'a eu besoin de personne pour répondre aux questions. Il l'a fait en homme qui a pris beaucoup de maturité même si parfois, son tempérament passionné lui fait commettre des gaffes quand la compétition est forte.

J'étais content de voir cet homme dans la quarantaine aussi serein. J'avais vu arriver un grand gamin efflanqué avec l'équipe et je l'avais suivi pendant une décennie avec le Canadien. Et quand Mario Tremblay l'a humilié de façon imbécile, c'est le parti de Roy que j'ai pris. Et en le voyant hier entre George Gillett et Pierre Boivin, je me suis dit que j'avais bien fait de suivre mon instinct.

Un homme humilié publiquement a le droit de protéger son honneur. C'est ce que Roy a fait le 2 décembre 1995.

Le 22 novembre 2008, 13 ans plus tard, l'histoire sera bouclée. On va pouvoir écrire de nouveaux chapitres.

Le grand trio est maintenant réuni. En 1986, Roy a gagné la Coupe Stanley en suivant un grand capitaine, Bob Gainey. En 1993, comme il le racontait lui-même hier, il a suivi un très grand leader qui croyait dans les chances de son équipe et qui s'arrangeait pour partager cette confiance et c'était Guy Carbonneau.

C'est certain que Roy a pété une coche ou deux (ou trois!) dans sa carrière comme joueur ou comme coach avec les Remparts de Québec. Mais les tièdes ont rarement de grands problèmes parce qu'ils sont rarement en première ligne quand la bataille fait rage et que les balles sifflent.

Roy aura été tout sauf tiède. Que les tièdes ne l'aiment pas, c'est juste normal. Et c'est absolument pas grave.

La plus belle phrase, celle qui résume le mieux la cérémonie du 22 novembre, c'est Casseau qui l'a dite: «C'est ici que ça commencé, et c'était ici que ça devait finir.»

Gillett et Boivin ont pris les bonnes décisions, ils ont fait les bons gestes. Les fans du Canadien avaient droit à cette ultime réconciliation maintenant que Maurice Richard et Guy Lafleur ont été accueillis par l'Organisation après des années d'exil injuste.

Tous les plus grands sont là. Il ne manquera finalement qu'Émile Bouchard.