L'Ebola, ça ne saute pas sur le monde, a déjà dit notre ministre de la Santé. Il voulait dire que ça ne se donne pas facilement comme la grippe. Une chance, il arrive chaque jour aux États-Unis en provenance du Liberia, de la Guinée et de la Sierra Leone environ 150 personnes. Vous voyez d'ici les dégâts si ça se donnait comme la grippe...

L'Ebola se transmet par contact direct avec les sécrétions (ou excrétions) d'une personne infectée, incluant la salive et la sueur, et les objets: draps, vêtements contaminés par ces sécrétions. L'Ebola ne saute pas sur le monde, c'est un peu le contraire, c'est le monde qui saute sur l'Ebola. Tu vas chercher une amie à l'aéroport qui arrive de Paris, t'as l'air toute chiffonnée, ma pauvre chérie, vous l'embrassez, elle vous dit qu'elle ne se sent pas très bien, laisse, je vais prendre ta valise... Avant Paris, où elle a passé deux semaines chez son frère, elle avait séjourné chez ses parents à Conakry. Un soir, elle est allée danser avec des amis dans un club de Kaloum, où le DJ leur a répété toute la soirée, amusez-vous, mais ne «frottez» pas trop... J'invente, mais pas tant que ça.

Les chances que les Québécois soient infectés par le virus Ebola sont infinitésimales, a dit aussi notre ministre de la Santé. Tant mieux, parce que même très peu, même un seul, c'est beaucoup de dérangement. Prenez celui qui vient de mourir à Dallas: quatre de ses proches sont en quarantaine, tandis que 48 autres (48!) qui ont été en contact avec lui sont assignés à résidence, testés deux fois par jour par des infirmiers eux-mêmes sous surveillance. Tout ça pour un cas. Je ne doute pas que c'est cela qu'il faille faire. Mais je pense au Liberia, à la Serria Leone, à leurs centaines de malades infectés. Qui pour recenser et isoler les personnes que chacun a contactées?

Avez-vous regardé récemment une carte de l'Afrique?

Les trois pays principalement touchés par l'épidémie, la pas très grande Guinée - et les minuscules Sierra Leone et Liberia -, ne totalisent pas 2 % du territoire africain; 2 % de la population aussi. Sept millions en Guinée, quatre dans les deux autres. En comparaison, le Nigeria presque voisin compte 120 millions d'habitants.

La bonne nouvelle, c'est que ça va bien au Nigeria, du moins en ce qui regarde l'Ebola. L'OMS s'apprête à déclarer le pays totalement débarrassé du virus. Même chose en République démocratique du Congo, où sans aide extérieure, sauf financière, les services sanitaires congolais ont nettoyé les quelques foyers d'épidémie.

Mais pour combien de temps? Le Liberia comme la Guinée sont tout près du Nigeria. Les échanges sont nombreux. Le trafic maritime dans le golfe, intense. Pas sûr qu'un marin congolais infecté après une escale à Conakry serait détecté à son retour à Lagos, encore moins sûr que 48 personnes seraient assignées à résidence. Je n'imagine pas qu'on puisse contrôler quoi que ce soit dans ce vaste foutoir - je parle toujours de Lagos.

Si l'épidémie n'est pas bientôt jugulée dans les trois pays où elle sévit, le danger est réel qu'elle ressurgisse au Nigeria, en République du Congo, au Kenya, etc. La voilà, la catastrophe pour l'humanité redoutée: la contamination de toute l'Afrique. Je dis redoutée, pas inéluctable. Mais qu'elle soit «seulement» envisageable donne déjà le vertige. Comme si l'Afrique n'avait pas assez du sida qui y fait toujours plus d'un million de morts par année.

Si des foyers d'infection de l'Ebola devaient se multiplier dans toute l'Afrique, alors ce ne serait plus les voyageurs de trois pays qu'il faudrait contrôler à New York, Paris, Londres, Montréal, Dallas, mais de 50 pays. Puis il y aurait des premiers cas en Inde, en Chine, à Cuba, en Haïti, qui n'est jamais la dernière épargnée. Alors les chances que les Québécois soient contaminés ne seraient plus aussi infinitésimales que le disait Monsieur le Ministre.

Une petite possibilité. Mais réelle. Pensez aux mesures que l'on a prises à Dallas pour un seul cas. Demandez-vous quels pays en Afrique ont les ressources, les infrastructures pour prendre les mêmes mesures pour des centaines, des milliers de cas.

Vendredi on annonçait, tout dernier chiffre, que l'Ebola avait fait 4033 morts pour 8399 individus infectés. Ce ne sont pas ces chiffres-là qui effraient, ni même les 200 000 morts annoncés pour janvier dans le meilleur des cas (un million et demi dans le pire). Ce qui effraie, c'est l'issue incertaine de cette course pour rattraper le virus, parce que justement, on ne le rattrape pas. C'est tout juste si on parvient à l'empêcher de creuser l'avance qu'il a prise au départ. Il s'est passé dix mois avant qu'on finisse par entendre les gens sur le terrain, la Croix-Rouge, l'OMS, mais surtout MSF: attention! attention! possibilité d'une catastrophe humanitaire droit devant.

M. Obama a envoyé 3000 soldats sur le terrain pour construire des dispensaires et des infirmeries. C'est un début, mais on ne s'en sortira pas qu'avec du béton. Il restera à mettre du personnel médical dedans pour accueillir et soigner les malades. Pour dire comme cela ne sera pas facile, 416 travailleurs de la santé ont déjà été infectés et 233 en sont morts.

Pas avec du béton? Avec quoi alors?

Avec des milliards. Le nerf de toutes les guerres, celle-ci plus que les autres.

Et aussi avec toute l'humanité dont nous nous réclamons si souvent pour faire le bien (quand il n'est pas contagieux). C'est clair, on ne s'en sortira pas ici avec une guignolée.

Ni avec des drones. Ni avec des F-18.