Mettons que lors du référendum de 1980, le Québec aurait répondu oui à la question: donnez-vous au gouvernement du Québec le mandat de négocier sa souveraineté avec le reste du Canada? C'était à peu près la question posée.

Mettons que les Québécois auraient dit oui à des négociations. On imagine que ces négociations auraient pris des années avant d'aboutir et que le Québec aurait obtenu sa souveraineté effective à peu près en même temps que l'Ukraine.

Voilà le Québec indépendant en 1991, mené, comme avant qu'il soit indépendant, par des premiers ministres tantôt libéraux, tantôt péquistes, les uns comme les autres entretenant des rapports étroits avec le Canada, et les uns comme les autres scrupuleusement respectueux des garanties données à la minorité anglophone de la province - minorité, on peut le comprendre, toujours inquiète.

Arrive une sorte de printemps érable comme celui que Montréal a connu en 2012. Des jeunes montent au créneau, dont quelques exaltés plus nationalistes que les autres qui brandissent la fleur de lys plus haut que les autres, le gouvernement libéral de l'époque est renversé, un gouvernement provisoire est mis en place en attendant de prochaines élections.

Leur anxiété exacerbée par le printemps érable et les quelques exaltés qui réclament une «vraie» indépendance, voilà nos anglos au bord de la crise de nerfs. Ils se tournent vers Ottawa, et Harper se fait un plaisir d'envoyer l'armée canadienne en Crimée. S'cusez, je veux dire en Outaouais.

Est-ce plus clair comme ça, pour vous, maintenant, l'Ukraine?

Ne me remerciez pas, j'ai la pédagogie dans le sang.

Le Québec, il y a 2000 ans

Des fois, je suis ridicule. L'autre après-midi, par exemple, j'attendais M. Fournier quand il me vint qu'il allait se planter dans mon entrée glacée, une vraie patinoire. M. Fournier habite le village voisin, il a 80 ans, il venait m'apporter un livre qu'il a écrit. Bref, je l'accueille dans l'entrée, je le prends par le bras pour qu'il ne tombe pas. Ça va, il me dit, ça va, j'ai l'habitude, je patine deux fois par semaine à l'aréna de Bedford, alors je le lâche, et oups, c'est moi qui passe à un cheveu de me péter la gueule, et c'est lui qui m'aide à rentrer en me prenant par le bras...

M. Fournier a réparé des montres pendant 52 ans, il a été le dernier bijoutier-horloger de Bedford. Et puis, il s'est mis à écrire des livres d'Histoire avec la précautionneuse minutie de son ancien métier. Je suis en train d'en lire un, La gazette des paysans, un collage - 600 pages, tout de même - d'articles tirés d'une quinzaine de revues, journaux agricoles publiés au Québec entre 1836 et 1898, par exemple L'agriculture, journal officiel de la Chambre d'agriculture du Bas-Canada, dont la patriotique devise était: «Le sol, c'est la Patrie, améliorer l'un, c'est servir l'autre.» Ah, servir la patrie en binant ses patates, comme j'aurais aimé vivre à cette époque.

Je lis donc deux ou trois pages de La gazette des paysans le soir avec ma dernière gorgée de lait chaud, je viens de déposer Goethe se mheurt de Thomas Bernhard1 sur la table de nuit - je déconseille de rester sur du Bernhard avant de dormir - , je prends La gazette des paysans de M. Philippe Fournier, je l'ouvre n'importe où...

Comment empêcher les oiseaux de manger les cerises dans votre cerisier? En suspendant une demi-douzaine d'écrevisses mortes aux branches du cerisier.

Où trouver les écrevisses? Ce n'est pas dit, mais c'est un détail. Tiré du même journal: Votre cheval a des poux? Dissolvez dans 20 parties (?) d'eau de pluie, dix parties de whisky et une partie de créosote, humectez les harnais du cheval avec le mélange obtenu...

Je suis à peu près certain que vous ignoriez que le sentiment de paternité est très développé chez le dindon, et bien entendu, vous ne savez pas non plus comment garder en vie un poisson hors de l'eau pendant plusieurs jours en lui bourrant la gueule de mie de pain imbibée d'eau de vie?

Je triche, La gazette des paysans est aussi un livre drôle, mais c'est d'abord la chronique des bêtes et des gens à la campagne, au Québec, on dirait il y a 2000 ans, c'est pourtant le Québec de votre arrière-grand-père.

Publié à compte d'auteur, La gazette des paysans est en vente à la librairie Moderne de Saint-Jean, à la librairie Attraction de Cowansville, à la boutique Micheline de Bedford, à la librairie des Galeries à Granby. Pour joindre l'auteur: philippefournier@axion.ca.

C'EST BIEN L'ARMÉNIE - Fin finaud comme vous êtes, vous avez remarqué que je m'étais trompé de journée. Ben oui, en principe, c'est demain la chronique, sauf que de demain, de la page 1 à la page 279, de quoi parlera mon journal, pensez-vous? Des zélections.

Et qu'est-ce que j'ai à dire sur les zélections?

Rien.

Drette là, si vous voulez savoir, j'attends pas du tout les zélections, j'attends le printemps. J'attends les sucres. J'attends ma première sortie à vélo, c'est pas grave s'il reste un peu de neige dans les champs. Je suis si écoeuré de cet épouvantable hiver que je suis prêt à aller baiser les pieds du premier météorologue qui me promettra un dix degrés pour samedi, même cinq, tiens, cinq pas de vent...

J'attends juste qu'un boss me demande: où ça te tenterait d'aller pour couvrir les élections?

À Cuba, boss. Au Cameroun. En Arménie.

LE DÉBAT DU CHEF - J'ai dit que je n'avais rien à dire sur les zélections. Juste un truc: je suis d'accord avec les médias anglophones pour un débat en anglais, mais pas pour un débat des chefs, pourquoi déranger tous les chefs? Les anglos votant à 80% pour le Parti libéral, un débat avec le seul, l'unique M. Couillard et il me semble que tout le monde serait fou comme la marde dans D'Arcy-McGee, non?

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(1) Goethe se mheurt (Gallimard), quatre récits de Thomas Bernhard qui n'avaient pas encore été traduits (Bernhard est mort en 1990), on l'y entend ricaner des Allemands, «qui ne demandent qu'à être mystifiés», des Autrichiens aussi, bien sûr (il détestait les Autrichiens et plus encore détestait être autrichien), il y ricane même des Norvégiens. Pour amateurs de Bernhard seulement, si on ne l'a jamais lu, il ne faut pas commencer ici, faites plutôt connaissance avec la bête par Mes prix littéraires, chez Gallimard aussi.